Dimanche 26 Mars 2006
Adeline Crépin

Dossier spécial Cash management - article 1 sur 5

Le cash management : une industrie bientôt à maturité.

Depuis décembre 2005, la trésorerie de Microsoft peut visualiser les 1.200 comptes bancaires du groupe à travers le monde et recevoir autant d'états quotidiens en dialoguant avec ses financiers par internet. Toutes les entreprises, on s'en doute, n'en sont pas à ce stade de sophistication dans la gestion de leur trésorerie. « Le cash management n'est pas une priorité pour les directions générales, sauf dans certains secteurs comme la grande distribution », estime David Laugier, directeur général France de bfinance, un cabinet de conseil en opérations financières.


Même pour certaines grandes entreprises, l'efficacité de la gestion de trésorerie constitue une préoccupation récente, parfois imposée par les événements. Ainsi, ce sont les rachats successifs de Saatchi & Saatchi et de Bcom3 qui ont amené Publicis à optimiser la gestion de sa trésorerie, le groupe ayant quadruplé de taille et démultiplié le nombre de ses filiales entre 2000 et 2002.

Dans un métier où le bon vieux fax n'a pas dit son dernier mot, y compris au sein d'entreprises de premier plan, l'industrialisation, amorcée il y a une vingtaine d'années, progresse à marche forcée. « La gestion de trésorerie est fortement industrialisée au niveau national, mais encore relativement artisanale à l'échelle internationale », nuance Nicolas Ullmo, senior manager chez Unilog Management. On peut pourtant parier que Microsoft sera rapidement rejoint par un bataillon de grands groupes jonglant avec les devises et les filiales.


Une rente pour les banques

Pour les banques, le cash management représente depuis longtemps une importante source de revenus, nécessitant des investissements colossaux qui ont constitué jusqu'ici de solides barrières à l'entrée. « Les revenus annuels que procurent à l'industrie bancaire les 3.000 plus grandes entreprises européennes sont de l'ordre de 5 milliards d'euros », estime David Laugier.

« Le cash management contribue à hauteur du quart au produit net bancaire de notre réseau commercial », admet de son côté un professionnel dans une grande banque étrangère implantée en France. Mais « l'Europe des paiements », qui devrait en principe être achevée d'ici à 2010, se chargera de bousculer les situations acquises. Du coup, pour les grands établissements qui dominent le marché du cash (Citigroup, JPMorgan Chase, HSBC, ABN Amro, BNP Paribas, Deutsche Bank, pour n'en citer qu'une poignée), l'heure est aux choix stratégiques : investir davantage ou abandonner toute prétention dans un domaine où l'intensité technologique le dispute à la créativité marketing et commerciale.


Le BFR prend du galon

Dans l'entreprise, les bonnes raisons d'améliorer l'efficacité du cash management ne manquent pas. La chasse aux coûts trouve dans ce domaine un terrain propice, la « rationalisation » des effectifs arrivant en tête des motivations, devant l'optimisation des commissions versées aux banques. Les évolutions réglementaires, dans le champ des normes comptables comme dans celui du contrôle interne (loi Sarbanes-Oxley) ou encore de la lutte contre le blanchiment d'argent, constituent un autre moteur de l'évolution du métier de trésorier. Quant à la maîtrise du besoin en fonds de roulement et de l'endettement net, elle prend en période de basses eaux conjoncturelles, comme entre 2001 et 2004, une importance sinon vitale, du moins majeure aux yeux des investisseurs et des agences de notation.

La réponse industrielle la plus fréquente à la question de l'efficacité est la centralisation (cash-pooling), qui consiste à faire converger, physiquement ou virtuellement, les soldes des comptes du terrain vers un réceptacle unique. Dans la pratique, ce principe simple revêt des formes très variées, selon le degré de jacobinisme de l'entreprise et les objectifs poursuivis (gains de temps, simplification des process, réduction du nombre de banques, etc.). Relativement aisé à réaliser pays par pays, l'exercice se révèle complexe quand il prend une dimension internationale et qu'on a affaire à un groupe opérant dans plusieurs métiers, avec plusieurs devises et un pool bancaire dans chaque pays.

Rexel, le premier réseau mondial de distribution de matériel électrique, dispose pour l'instant d'un compte pivot par pays. Poussera-t-il plus loin la logique de la centralisation ? « Nos mouvements transfrontaliers étant marginaux, nous étudions le passage à un cash-pooling international dans une optique de rationalisation bancaire plutôt que dans celle de gains de frais financiers », constate Frédéric de Castro, le directeur des financements du groupe.


Les centres de services partagés, une forme courante d'externalisation

Les opérations courantes (décaissements et encaissements) constituent l'autre domaine où la trésorerie s'industrialise. Nombreuses sont les grandes entreprises à avoir déjà mis en place des centrales de paiement (payment factories dans le jargon de la profession) dont la mission consiste à agréger les ordres émanant d'un même fournisseur à plusieurs filiales et à procéder ensuite à un virement unique. Dans ce domaine, l'externalisation peut être poussée très loin, sous la forme désormais courante de « centres de services partagés » (CSP), ou par l'intermédiaire de plates-formes proposées et gérées par des banques comme JPMorgan, Citigroup ou encore ABN Amro. S'agissant des recouvrements de créances, la centralisation ou l'externalisation sont plus rares car elles reviennent à déposséder les unités opérationnelles d'une partie de leurs prérogatives commerciales.


Les banques à une période charnière

Si certaines de leurs offres, en cash-pooling notamment, sont plus fidélisantes que rentables, les banques jouent pour l'instant sur du velours. Le métier est globalement sans risques - il n'engage pas le bilan -, il est à l'abri des fluctuations des marchés financiers et procure de belles marges.

Tous les professionnels du secteur partagent néanmoins le sentiment que l'industrie vit une période charnière avec la mise en place graduelle de l'Europe des paiements ou Single Euro Payments Area (Sepa). « Sepa pourrait rebattre les cartes du paysage bancaire dans le cash management, y compris s'agissant de la domination des grands établissements américains », prévoit Yves Gailly, chargé des relations bancaires à BNP Paribas.

En attendant, les établissements financiers continuent de miser sur SwiftNet, un joker destiné à protéger le pré carré bancaire des intrusions d'acteurs privés, par exemple dans le domaine des réseaux de télécommunication interentreprises. SwiftNet est la version internet de Swift, un réseau de transport d'informations financières mutualisé entre 8.000 établissements bancaires. Initialement réservé aux seules banques, SwiftNet s'est récemment ouvert aux entreprises, qui sont actuellement une grosse centaine (dont Danone, EADS, France Télécom, LVMH, Yves Rocher, Total) à l'utiliser pour converser avec leurs banques, notamment avec File Act (lire le Dossier de L'Agefi hebdo n°7), qui permet d'échanger des « enveloppes électroniques » totalement sécurisées contenant des messages de toutes natures et de tous formats. Chez BNP Paribas, où l'on travaille à une version moins onéreuse d'accès à SwiftNet, Stéphane de la Fouchardière, responsable « coordination, connectivité et développement Swift » situe entre 10.000 et 20.000 le nombre de clients potentiels à travers le monde.


Manque de dialogue entreprise/banque

S'ils sont amenés à communiquer de plus en plus facilement, en toute sécurité, entreprises et banques ont pourtant du mal à se rencontrer. Le maquis des commissions, entre autres, ne facilite pas le dialogue commercial avec les banques, plutôt enclines à raisonner en termes d'offres globales incluant le change, le crédit documentaire, la rémunération des liquidités, la réconciliation ou encore l'affacturage. Dans ces conditions, les entreprises ont de plus en plus recours à des intermédiaires comme Accenture, bfinance ou Unilog Management, capables d'expertiser leurs besoins, de constituer un cahier des charges et d'organiser des appels d'offres.

Article rédigé par Arnaud brunet - le 03/03/2006 - L'Agefi Hebdo
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