Croissance plus ou croissance mieux ?
10/03/2015
Pour parler du point de vue des entreprises et avec le recul historique d’un engagement personnel qui va de la promotion du mécénat au sein du patronat dans les années 80 au Grenelle de l’environnement et à la formalisation des premières politiques RSE des fleurons français, cette position nous semble regrettable pour trois raisons.
D’abord, nier qu’il y ait une problématique de responsabilité sociétale des entreprises – ce qui n’est pas une culpabilité – est une cécité politique qui n’est pas à la hauteur d’un patronat ouvert sur le monde, progressiste et éclairé, capable d’appréhender les conséquences d’une prédation accélérée des ressources naturelles de la planète, d’une gouvernance sociale défaillante dans les pays émergents et des défis de justice et de régulation que posent la mondialisation de l’économie de marché depuis deux décennies.
Deuxièmement, le déni ou la sous-estimation de ces enjeux collectifs qui minent le développement contemporain est à comparer aux démarches d’entrepreneurs pionniers qui font de l’engagement responsable un plus reconnu de leur offre et qui changent les modèles, sans se plaindre et sans accuser personne, comme les Danone, L’Oréal, Carrefour, Michelin ou Axa que les politiques volontaristes protègent de réglementations qu’ils ont anticipé, par des mécanismes de vigilance qu’ils suivent (reporting), tout en sachant qu’ils ne sont pas indemnes.
Enfin, que Croissance Plus se souvienne que près de 50 pays, autour de l’OCDE, ont souscrit des engagements de respect de la vigilance en matière de droits humains et sociaux et que ceci conduit les gouvernements et les entreprises à devoir se soucier de leur bonne application, sans parler des engagements signés par les patrons eux-mêmes, au nom du Pacte Mondial des Nations Unies, ce que personne ne les force à faire et qu’ils revendiquent aisément. Or chacun sait que cette « soft law », portée par les entreprises leaders (cf. WBCSD), a besoin d’être contrôlée et stimulée.
Le « cachez cette vigilance qui ne nous concerne pas » du président de Croissance Plus est d’autant moins habile qu’elle contredit ce courant d’engagement sérieux, de la part de certains entrepreneurs, plutôt européens d’ailleurs, qui avancent en se souciant de leur impact sociétal, avec une vision lucide des problèmes du monde et l’envie de les résoudre, chacun à son niveau, sachant qu’on n’y arrivera que par des accords public-privé sectoriels et mondiaux ! Cette prise de position appelle donc à un débat : est-ce un prurit politique face à un excès d’interventionnisme et à une bureaucratisation française qui n’en finit jamais et dans ce cas, compréhensible ? Mais c’est dommage de l’argumenter de façon purement défensive. Ou est-ce un défaut de lucidité sur le contexte géopolitique et humain de la croissance mondiale auquel les entreprises se doivent d’apporter leur contribution car « il n’est pas d’entreprise qui gagne dans un monde qui perd »…Et dans ce cas, pourquoi ne pas proposer un appui à une négociation internationale et européenne pour renforcer les démarches volontaires et contractuelles des entreprises, pour ne renvoyer la loi qu’au nom respect des cas extrêmes ? Reste une question qui revient en boomerang : sommes-nous toujours au temps de « la croissance plus » ou ne devrions-nous pas entrer dans celui de « la croissance mieux », c’est-à-dire dans une vision co-régulatrice du développement, associant contractuellement et localement les entrepreneurs et leurs parties prenantes, pour améliorer la durabilité du contexte économique : plus de découplage, plus d’équité et d’accessibilité et plus de loyauté, par l’innovation et le dialogue.
Ce sont là les fondamentaux, encore minoritaires certes, mais en marche, d’une vision qualitative du développement qui ne se satisfait pas d’une « croissance pourrie » (cf. crony capitalism), nourrie de corruption et d’inégalités croissantes, de discriminations et d’épuisement des ressources, qui existe aussi et dont le recul est autant, si ce n’est plus, l’affaire des femmes et des hommes d’entreprise que nous sommes, et pas seulement des militants politiques qui nous remettent en cause. Mais ce questionnement n’est pas inutile si le résultat est de se mettre ensemble sur la voie d’une croissance meilleure, au moment où se pose la question de faire évoluer la définition juridique de la société (1833 CC), pour ajouter à l’intérêt des associés la prise en compte de toutes ses parties prenantes.
Patrick d’Humières
www.institutrse.com
Les médias du groupe Finyear
Le quotidien Finyear :
– Finyear Quotidien
La newsletter quotidienne :
– Finyear Newsletter
Recevez chaque matin par mail la newsletter Finyear, une sélection quotidienne des meilleures infos et expertises de la finance d’entreprise et de la finance d’affaires.
Les 4 lettres mensuelles digitales :
– Le Directeur Financier
– Le Trésorier
– Le Credit Manager
– Le Capital Investisseur
Le magazine bimestriel digital :
– Finyear Magazine
Un seul formulaire d’abonnement pour recevoir un avis de publication pour une ou plusieurs lettres

