Lundi 16 Novembre 2015
Finyear, Quotidien Finance d'Entreprise

Croissance française : encore une belle arnaque !

Le filon a beau être archi-connu, il fonctionne toujours ! Non il ne s'agit pas d'une chronique sur le refus des Grecs de tenir leurs promesses après qu'ils aient reçu l'aide financière des Européens. Ni sur l'europhobie, certes de plus en plus marquée, des Britanniques. Ni même du dernier James Bond, qui vient de faire renaître le Spectre, 53 ans après sa première apparition dans un film de 007. Car, si tous ces filons ont bien été utilisés à l'excès, il y en a un qui bat tous les records, en l'occurrence le maquillage de la variation du PIB français.


Marc Touati
En effet, comme cela s'est déjà observé au premier trimestre 2011, aux deuxième et troisième trimestres 2013, mais aussi aux premiers trimestres 2014 et 2015, le PIB français a miraculeusement augmenté grâce à l'opération magique de la formation de stocks.

Et cette fois-ci, l'INSEE n'y est allé avec le dos de la cuillère. En effet, cette variable d'ajustement qu'est la formation de stocks a contribué à hauteur de 0,7 point à la croissance française du troisième trimestre 2015. Un plus haut depuis le fameux premier trimestre 2011, au cours duquel le PIB français avait flambé de 1,1 %, mais reculé de 0,1 % hors stocks. Il faut d'ailleurs noter qu'une contribution aussi forte de ces derniers à la variation du PIB français n'a été observée qu'à trois reprises depuis 1996 : au quatrième trimestre 2009, en 2011 et donc aujourd'hui. Trois fois en 20 ans, c'est dire l'ampleur de l'arnaque !

Le pire est qu'il s'agit de la première estimation du PIB, qui est, bien entendu, sujette à caution et à révision. Ainsi, on se souvient par exemple qu'au premier trimestre 2014, le PIB français avait été annoncé stable en première estimation, notamment grâce à une contribution de la formation de stocks de 0,6 point. Or, selon les derniers chiffres de l'INSEE, au cours de ce même premier trimestre 2014, le PIB français est finalement annoncé en baisse de 0,2 %, avec une contribution positive des stocks de 0,3 %.

Autrement dit, il faut s'attendre à d'importantes révisions statistiques, qui seront réalisées dans les prochains mois, lorsque le PIB du troisième trimestre 2015 aura été oublié, tout comme les élections régionales de décembre 2015…

Mais que les partisans de François Hollande, ne soient pas fâchés. Cette tactique n'est pas l'apanage du Président normal. Son prédécesseur était au moins aussi fort que lui en la matière. Ainsi, lors de publication de la première version des comptes nationaux français du quatrième trimestre 2011, qui avait lieu le jour de l'annonce de la candidature de Nicolas Sarkozy à la Présidentielle, l'INSEE avait aussi affiché une étonnante croissance de 0,2 %. Mieux, à l'époque, le PIB était en recul dans la plupart des pays de la zone euro, ce qui permettait à l'ancien Président français de claironner que la France était la meilleure élève de la classe malgré la crise. Le problème est que, par la suite, les comptes nationaux ont évidemment été révisés, faisant état d'une croissance de 0 %... résultat qui a été encore révisé dernièrement, à 0,2 %... Décidément, les mystères de la statistique française sont impénétrables…

Toujours est-il que ces tristes exemples nous rappellent qu'il ne sert à rien de vouloir masquer la réalité, car tôt ou tard la réalité économique reprend le dessus. Ainsi, pour revenir sur les comptes nationaux du troisième trimestre 2015, avec un PIB en hausse de 0,3 % mais en baisse de 0,4 % hors stocks, il est clair qu'un ajustement baissier aura lieu au quatrième trimestre. D'ailleurs, à chaque fois que la contribution des stocks est forte, une nette décélération, voire une baisse, du PIB a lieu lors du trimestre suivant.

C'est pourquoi, nous sommes désolés de faire notre métier et de devoir dire que le PIB français devrait au mieux stagner, voire légèrement baissé au cours du quatrième trimestre 2015, à moins que l'INSEE ne révise nettement à la baisse les chiffres des trimestres précédents, ce qui lui permettra d'afficher une petite croissance lors du dernier trimestre de l'année.

C'est ainsi, il ne faut pas s'en offusquer mais simplement le savoir : nous vivons dans un monde de marketing et les effets d'annonce sont parfois plus importants (du moins aux yeux de certains) que les faits réels. Seulement, voilà, la méthode Coué et le court-termisme ont leurs limites : tôt ou tard la vérité s'impose, avec souvent pertes et fracas.

C'est ainsi qu'en dépit de ses efforts de communication, Nicolas Sarkozy n'a pas été réélu en 2012, ou encore que Lionel Jospin, qui refusait de baisser la dépense publique malgré une croissance forte de 1998 à 2001, n'a même pas franchi le premier tour des élections de 2002. C'est aussi de la sorte que, malgré pléthore de mensonges et de faux-semblants depuis une vingtaine d'années, la France demeure engluée dans la croissance molle et le chômage de masse, restant menacée par une grave crise sociale, voire sociétale.

Dans ce cadre, ne nous leurrons : la croissance française ne dépassera pas 1,1 % cette année et repassera sous la barre du 1 % l'an prochain, à 0,8 % selon nos prévisions.

La question reste simplement de savoir, qui, à part votre serviteur et quelques autres adeptes du réalisme économique, osera dire la vérité ? Non pas pour se faire plaisir ou se faire remarquer, mais simplement pour sauver la France de sa léthargie. Car ne l'oublions pas, la France est un pays formidable, mais, de la même manière que tout filon finit par s'user, à force de tirer sur la corde de l'économie française, que ce soit en matière de pression fiscale sur les entreprises et les ménages, de rigidités, notamment sur le marché du travail ou encore de liberté de penser, cette corde finira également par se casser…

Marc Touati
Economiste.
Président du cabinet ACDEFI (premier cabinet de conseil économique et financier indépendant).

www.acdefi.com


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