Anthony Benhamou
La consommation des ménages accélère.
Au premier trimestre 2015, la France a affiché une croissance trimestrielle de son PIB de 0,6% tandis que le gouvernement attendait 0,4%. Dans le même temps cependant, les chiffres du dernier trimestre 2014 ont été révisés à la baisse (0,0% contre 0,1% en première estimation). Mais ne boudons pas notre plaisir : le PIB trimestriel hexagonal n’avait en effet plus connu une telle progression depuis le deuxième trimestre 2013 et cela faisait quasiment deux années qu’il ne cessait d’osciller entre -0,2% et +0,2%.
Cette hausse relativement soutenue du PIB s’explique principalement par la bonne tenue des dépenses de consommation des ménages. Après avoir progressé de seulement 0,1% en rythme trimestriel au dernier trimestre 2014, elles ont en effet accéléré de 0,8% au premier trimestre, grâce notamment au rebond des dépenses en énergie (+3,9%) et en biens fabriqués (+1,4%).
Plus généralement, les ménages ont en fait bénéficié d’une hausse de leur pouvoir d’achat au premier trimestre. A titre d’illustration, sur les deux premiers mois de l’année, le taux d’inflation annuell hexagonal a été négatif (-0,4% en janvier et -0,3% en février), tandis qu’au mois de mars il a été nul. Cette évolution des prix a été pleinement favorable puisqu’elle ne s’est pas accompagnée en parallèle d’effets de seconds tours qui auraient alors été synonymes de tensions déflationnistes.
L’évolution des cours du pétrole est d’ailleurs un élément symptomatique de cette inflation négative. Au premier trimestre ainsi, le prix moyen du baril de Brent s’est élevé à 56,6 dollars (contre 77,7 dollars lors du quatrième trimestre 2014), tandis que celui du WTI a été d’environ 51,5 dollars (contre 73,8 dollars lors du dernier trimestre 2014).
Enfin, le pouvoir d’achat des ménages a tiré profit de l’impact du CICE. Pour mémoire, cette mesure fiscale consiste en une réduction de l’impôt sur les sociétés à payer, calculée sur la base de la masse salariale comprise entre 1 et 2,5 SMIC, afin de redynamiser l’investissement et l’emploi. Or, selon une note de l’INSEE du 26 mars dernier, la manne financière issue du CICE dont ont bénéficié de nombreuses entreprises aurait permis « une augmentation du salaire réel » des salariés.
Attention toutefois à ne pas surestimer la situation.
C’est indéniable, l’accélération des dépenses de consommation des ménages constitue une très bonne nouvelle. Rappelons en effet que la consommation privée constitue structurellement plus de la moitié du PIB français. Mais hélas, il n’est pas encore l’heure de sortir tambours et trompettes. Et de toute évidence, il convient de rester lucide sur la performance de l’économie hexagonale. Car à bien y regarder, d’importants points négatifs demeurent.
Tout d’abord l’atonie persistante et inquiétante de l’investissement. Au premier trimestre en effet, l’investissement des entreprises non financières n’a augmenté que de 0,2% (après -0,1% au trimestre précédent), semblant ainsi refléter une méfiance ininterrompue de ces dernières vis-à-vis du contexte économique, politique et fiscal. Ce point est fondamental : sans relance durable et soutenue de l’investissement, la reprise économique ne pourra se confirmer au cours des prochains trimestres et le drame du chômage se poursuivra.
Puis la dégradation du commerce extérieur. Au premier trimestre, les exportations françaises ont ralenti (+0,9% contre +2,5% au quatrième trimestre 2014) tandis que les importations ont fortement augmenté (+2,3% après +1,5 au quatrième trimestre 2014), le tout dans un contexte favorable de dépréciation de l’euro. Si cette évolution semble paradoxale (on s’attendait en effet à ce que la France soit l’un des pays d’Europe qui profite le plus de la baisse de la monnaie unique), elle tend en fait à traduire que la compétitivité prix ne suffit pas à gagner des parts de marché. Dès lors, il apparaît nécessaire de réfléchir à des mesures de politique économique destinées à rétablir la compétitivité hors coûts des entreprises françaises (l’allègement des charges sociales sur les hauts salaires est par exemple totalement exclu du pacte de responsabilité).
Enfin, le rôle ambigüe des variations de stocks qui, au premier trimestre, ont largement contribué à la hausse du PIB (+0,5% contre -0,3% au quatrième trimestre 2014). Hors effet de l’accroissement des stocks, le PIB hexagonal n’a en réalité progressé que de 0,1%, une évolution nettement moins flatteuse qu’affichée. Néanmoins, il est possible d’imaginer que cette forte contribution des stocks puisse traduire un retour positif des anticipations des entreprises qui se matérialiserait alors par une hausse de la consommation et de l’investissement au second trimestre.
Il va désormais falloir transformer l’essai…
Finalement, reprise ou pas reprise ? Si à première vue, les performances de l’économie française semblent honorables au titre du premier trimestre, l’observation détaillée des principaux agrégats macroéconomiques ne permet pas encore de conclure à une véritable reprise. Un mouvement encourageant alors ? Oui, possible. Car à l’évidence, quelque chose s’est bel et bien passé au premier trimestre. Mais il va maintenant falloir confirmer.
Or, c’est là que le bât blesse. Au cours de ces dernières semaines en effet, les conditions économiques ont sensiblement évolué, au point d’ailleurs que le désormais célèbre « alignement des planètes » apparaît être de l’histoire ancienne. En attestent ainsi cette remontée des cours du pétrole, l’appréciation de l’euro où encore ces tensions sur les marchés obligataires. Dès lors, aucun facteur exogène ne semble plus pouvoir modifier en profondeur le comportement des ménages et des entreprises qui progressivement devrait revenir à la normale.
Une bonne mesure de cette « normalité » peut être obtenue à partir des enquêtes sur le moral des ménages et des entreprises menées par l’INSEE. En avril dernier, l’indice de confiance des consommateurs s’établissait ainsi à 94, enregistrant un quatrième mois consécutif de hausse : mais cet indice demeure en dessous de sa moyenne de long terme depuis septembre 2007. De même, en avril dernier l’indice du climat des affaires tous secteurs confondus ressortait à 96, là aussi sur une tendance haussière : mais cet indice demeure en dessous de sa moyenne de long terme depuis septembre 2011.
Par conséquent, toutes choses égales par ailleurs, le PIB français devrait marquer un ralentissement plus ou moins marqué au second semestre. Dans ce contexte, les annonces volontairement optimistes d’une croissance annuelle de 1,5% apparaissent non réalistes. En revanche, la prévision officielle du gouvernement d’une croissance annuelle de 1,0% demeure pour sa part encore crédible : c’est déjà ça…
Achevé de rédiger le 13 mai 2015.
Anthony Benhamou
Anthony Benhamou est un économiste diplômé de l’université de Paris Dauphine. Il a notamment exercé pendant 3 années en tant que consultant auprès de grandes entreprises internationales. Maître de conférences à Sciences-Po Paris et tuteur enseignant à l’université de Paris Dauphine, il rédige par ailleurs avec Marc Touati de nombreuses chroniques économiques et financières pour le cabinet ACDEFI.
Au premier trimestre 2015, la France a affiché une croissance trimestrielle de son PIB de 0,6% tandis que le gouvernement attendait 0,4%. Dans le même temps cependant, les chiffres du dernier trimestre 2014 ont été révisés à la baisse (0,0% contre 0,1% en première estimation). Mais ne boudons pas notre plaisir : le PIB trimestriel hexagonal n’avait en effet plus connu une telle progression depuis le deuxième trimestre 2013 et cela faisait quasiment deux années qu’il ne cessait d’osciller entre -0,2% et +0,2%.
Cette hausse relativement soutenue du PIB s’explique principalement par la bonne tenue des dépenses de consommation des ménages. Après avoir progressé de seulement 0,1% en rythme trimestriel au dernier trimestre 2014, elles ont en effet accéléré de 0,8% au premier trimestre, grâce notamment au rebond des dépenses en énergie (+3,9%) et en biens fabriqués (+1,4%).
Plus généralement, les ménages ont en fait bénéficié d’une hausse de leur pouvoir d’achat au premier trimestre. A titre d’illustration, sur les deux premiers mois de l’année, le taux d’inflation annuell hexagonal a été négatif (-0,4% en janvier et -0,3% en février), tandis qu’au mois de mars il a été nul. Cette évolution des prix a été pleinement favorable puisqu’elle ne s’est pas accompagnée en parallèle d’effets de seconds tours qui auraient alors été synonymes de tensions déflationnistes.
L’évolution des cours du pétrole est d’ailleurs un élément symptomatique de cette inflation négative. Au premier trimestre ainsi, le prix moyen du baril de Brent s’est élevé à 56,6 dollars (contre 77,7 dollars lors du quatrième trimestre 2014), tandis que celui du WTI a été d’environ 51,5 dollars (contre 73,8 dollars lors du dernier trimestre 2014).
Enfin, le pouvoir d’achat des ménages a tiré profit de l’impact du CICE. Pour mémoire, cette mesure fiscale consiste en une réduction de l’impôt sur les sociétés à payer, calculée sur la base de la masse salariale comprise entre 1 et 2,5 SMIC, afin de redynamiser l’investissement et l’emploi. Or, selon une note de l’INSEE du 26 mars dernier, la manne financière issue du CICE dont ont bénéficié de nombreuses entreprises aurait permis « une augmentation du salaire réel » des salariés.
Attention toutefois à ne pas surestimer la situation.
C’est indéniable, l’accélération des dépenses de consommation des ménages constitue une très bonne nouvelle. Rappelons en effet que la consommation privée constitue structurellement plus de la moitié du PIB français. Mais hélas, il n’est pas encore l’heure de sortir tambours et trompettes. Et de toute évidence, il convient de rester lucide sur la performance de l’économie hexagonale. Car à bien y regarder, d’importants points négatifs demeurent.
Tout d’abord l’atonie persistante et inquiétante de l’investissement. Au premier trimestre en effet, l’investissement des entreprises non financières n’a augmenté que de 0,2% (après -0,1% au trimestre précédent), semblant ainsi refléter une méfiance ininterrompue de ces dernières vis-à-vis du contexte économique, politique et fiscal. Ce point est fondamental : sans relance durable et soutenue de l’investissement, la reprise économique ne pourra se confirmer au cours des prochains trimestres et le drame du chômage se poursuivra.
Puis la dégradation du commerce extérieur. Au premier trimestre, les exportations françaises ont ralenti (+0,9% contre +2,5% au quatrième trimestre 2014) tandis que les importations ont fortement augmenté (+2,3% après +1,5 au quatrième trimestre 2014), le tout dans un contexte favorable de dépréciation de l’euro. Si cette évolution semble paradoxale (on s’attendait en effet à ce que la France soit l’un des pays d’Europe qui profite le plus de la baisse de la monnaie unique), elle tend en fait à traduire que la compétitivité prix ne suffit pas à gagner des parts de marché. Dès lors, il apparaît nécessaire de réfléchir à des mesures de politique économique destinées à rétablir la compétitivité hors coûts des entreprises françaises (l’allègement des charges sociales sur les hauts salaires est par exemple totalement exclu du pacte de responsabilité).
Enfin, le rôle ambigüe des variations de stocks qui, au premier trimestre, ont largement contribué à la hausse du PIB (+0,5% contre -0,3% au quatrième trimestre 2014). Hors effet de l’accroissement des stocks, le PIB hexagonal n’a en réalité progressé que de 0,1%, une évolution nettement moins flatteuse qu’affichée. Néanmoins, il est possible d’imaginer que cette forte contribution des stocks puisse traduire un retour positif des anticipations des entreprises qui se matérialiserait alors par une hausse de la consommation et de l’investissement au second trimestre.
Il va désormais falloir transformer l’essai…
Finalement, reprise ou pas reprise ? Si à première vue, les performances de l’économie française semblent honorables au titre du premier trimestre, l’observation détaillée des principaux agrégats macroéconomiques ne permet pas encore de conclure à une véritable reprise. Un mouvement encourageant alors ? Oui, possible. Car à l’évidence, quelque chose s’est bel et bien passé au premier trimestre. Mais il va maintenant falloir confirmer.
Or, c’est là que le bât blesse. Au cours de ces dernières semaines en effet, les conditions économiques ont sensiblement évolué, au point d’ailleurs que le désormais célèbre « alignement des planètes » apparaît être de l’histoire ancienne. En attestent ainsi cette remontée des cours du pétrole, l’appréciation de l’euro où encore ces tensions sur les marchés obligataires. Dès lors, aucun facteur exogène ne semble plus pouvoir modifier en profondeur le comportement des ménages et des entreprises qui progressivement devrait revenir à la normale.
Une bonne mesure de cette « normalité » peut être obtenue à partir des enquêtes sur le moral des ménages et des entreprises menées par l’INSEE. En avril dernier, l’indice de confiance des consommateurs s’établissait ainsi à 94, enregistrant un quatrième mois consécutif de hausse : mais cet indice demeure en dessous de sa moyenne de long terme depuis septembre 2007. De même, en avril dernier l’indice du climat des affaires tous secteurs confondus ressortait à 96, là aussi sur une tendance haussière : mais cet indice demeure en dessous de sa moyenne de long terme depuis septembre 2011.
Par conséquent, toutes choses égales par ailleurs, le PIB français devrait marquer un ralentissement plus ou moins marqué au second semestre. Dans ce contexte, les annonces volontairement optimistes d’une croissance annuelle de 1,5% apparaissent non réalistes. En revanche, la prévision officielle du gouvernement d’une croissance annuelle de 1,0% demeure pour sa part encore crédible : c’est déjà ça…
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