Lundi 17 Juin 2024
Anne-Laure Allain

"Blockchain in Paris" : entre "pas si jeune" et "pas si vieux"

La semaine passée, les événements se sont bousculés dans le petit écosystème parisien WEB3. : de Proof of Talk aux Musée des Arts Décoratifs, en passant par la conférence SG Forge x Bitstamp pour se terminer par la célébration des 10 ans de Coinhouse (entre autres). L'occasion pour l'ensemble des acteurs de faire le point sur les cas d'usage et les nombreuses avancées attendues pour les années à venir notamment en matière de cadre réglementaire. Et force est de constater qu'au travers des rencontres qui ont émaillé ces différentes occasions, des pépites bien installées et depuis, peut-être plus longtemps qu'on ne l'imagine, se sont distinguées. Passage en revue.
AL ALLAIN


La première rencontre a lieu au Musée des Arts Décoratifs. A l'occasion du workshop dédié à "la vague de la tokenisation dans les marchés financiers internationaux" organisé par Proof of Talk. Sur scène, Natacha Dezert, Manager Digital Assets and Blockchain au sein de BNP Paribas Securities Services.
Au cours des mois passés, la première banque d'Europe semblait bien discrète quant à ses déploiements sur la blockchain au profit, peut-être, des annonces faites jusqu'alors par SG-Forge. Pourtant, c'est bien depuis 2011 qu'elle a lancé ses expérimentations. Il y a un an, la banque s'associait au réseau Canton, un nouveau projet de blokchain privée dédiée aux marchés financiers réunissant d'autres institutions telles que Goldman Sachs. Quelques mois plus tard (en novembre), BNP Paribas toujours avec Goldman Sachs dévoilait un investissement de 96 millions de dollars dans l'entreprise blockchain Fnality, permettant de créer des versions tokenisés de certains actifs "fiat".
"Nous travaillons effectivement depuis de très nombreuses années sur le sujet. relate Natacha Dezert." La technologie est éprouvée. Nous avons des marques d'intérêt de la part de nos clients. Cependant, il y a un manque de maturité sur le secteur qui nous empêche de faire les volumes nécessaires." Parmi les autres points de blocages, la femme évoque notamment les soucis d'interopérabilité entre les blockchains et son besoin, en tant que banque faisant des échanges avec d'autres institutions financières de s'appuyer, pour la partie Wholesale donc, sur des Monnaies Numériques de banques centrales.

A nos côtés, lors de cette discussion informelle, Simon de Charentenay, CEO fondateur de l'entreprise Axiocap. Et lorsque l'on évoque avec lui l'enregistrement d'actifs réels sur la blockchain sous forme de token, disons que cela le fait sourire.
"En France, nous avons été extrêmement précurseurs en matière de blockchain. Depuis 2018, il est possible et totalement légal d'inscrire des titres financiers dans un dispositif d'enregistrement électronique partagé (DEEP) reposant sur la technologie blockchain."
C'est donc dès 2019, qu'avec son associé Simon Surleau, il a monté Capbloc, devenue depuis Axiocap. Son métier ? l'enregistrement et la gestion de titres, de parts sociales d'entreprises non cotées sur la blockchain. "les titres des entreprises sont ainsi transformées en token. Nous y avons aussi adjoint naturellement un autre métier qui est la dématérialisation des droits de vote lors des AG découlant de la possession des titres..."
La petite entreprise a remporté un appel d'offres avec Infogreffe à l'été 2021 qui s'est par la suite transformé en "partenariat stratégique". Infogreffe étant devenue un actionnaire de référence d'Axiocap.
"Nous pouvons dire que nous faisons un certain volume de transactions, nous recensons 157 361 actionnaires enregistrés."
La "petite" entreprise Axiocap devrait réaliser un chiffre d'affaires de 2,5 millions d'euros avec des comptes "dans le vert" et devrait annoncer quelques nouveautés dans les mois à venir.

Discrètement, la France et au-delà, l'Europe aurait donc expérimenté beaucoup plus d'usages qu'on ne le pense de la blockchain au cours des dernières années ?
Lui permettant de commencer à poser un cadre réglementaire plus rassurant pour passer à une consommation plus massive.
C'est peut-être aussi cela que l'Américain Robinhood est venu cherché en rachetant récemment l'exchange Bitstamp ?

Et c'est justement au cours de la conférence organisée par Bitstamp avec SG.Forge, qu'une nouvelle rencontre s'est produite témoignant de cette maturité, peut-être encore trop discrète du marché européen.
Comment vous dire ? Les ETF Bitcoin qui ont récemment fait la une de la presse crypto et autre, présentés comme "LA" révolution, ne serait pas forcément une si grande évolution à l'échelle de l'Europe. "Cela fait longtemps, en fait depuis 2018, que nous proposons à nos clients une exposition aux cryptomonnaies au travers de nos ETP " relate Marina Baudéan, Head of France & Benelux of 21 Shares. Disponible depuis des plateformes comme Bourse Direct ou Saxo Bank, l'entreprise dont le siège est en Suisse déploie aujourd'hui plus de 40 produits financiers (ETP) exposés à la crypto et régulés en Europe via la Suède.
"Nous avons 3, 6 milliards de dollars d'encours. Ce qui s'est passé aux Etats-Unis via la validation des 11 ETF Bitcoin par la SEC est important parce que cela concerne des géants comme Blackrock et Fidelity qui ont conféré à ces produits financiers une crédibilité dont nous avons d'ailleurs profité. Mais effectivement, du côté de 21Shares nous sommes assez rompus à l'exercice."

Et côté expérience que dire de celle de la Maison du Bitcoin ? Il y a 10 ans, Eric Larchevêque et Thomas France ouvraient donc le premier lieu physique à Paris, entièrement dédié au Bitcoin. Une aventure qui a donné naissance à deux entreprises : Coinhouse d'un côté et Ledger de l'autre. Et 10 ans, c'est assez pour avoir marqué une génération et regarder le chemin parcouru. "On peut dire que la Maison du Bitcoin, c'était un peu la cour des miracles. Aux côtés de personnes sérieuses, nous avons rencontré de tout, des brouteurs africains et même subi une tentative de braquage relate Eric Larchevêque, "En l'absence de cadre, nous avons fini par élaborer nos propres procédures de compliance."
Les dix dernières années ont donc permis a tout un écosystème de se structurer, de se doter d'une association représentative (l'ADAN), de se doter d'un régime dédié (PSAN), de poursuivre un fastidieux travail d'évangélisation auprès des pouvoirs publiques comme du grand public.
Quant au chemin à venir ? Certains, à l'instar d'Anne Maréchal, Associée au sein du cabinet de Gaulle Fleurance et ex-directrice de l'AMF, prédisent des mouvements de concentration provoqués notamment par le resserrement du cadre réglementaire. "Cette sécurité juridique est essentielle pour les acteurs. Et ceux qui vont émerger de ces mouvements seront les plus sérieux."
Une nouvelle étape pour l'écosystème Web 3 qui devrait atteindre "l'âge de raison" en s'immergeant dans l'ère de la réglementation ?

Anne-Laure Allain


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