La numérisation est loin d'être une nouveauté dans le secteur financier, mais la tokenisation s'appuyant sur les technologies de registre distribué (Distributed Ledger Technologies - DLT) pourrait constituer un nouveau tournant. Dans mes remarques préliminaires, je voudrais expliquer pourquoi, à la Banque de France et à l'ACPR, du point de vue de notre mandat de stabilité financière, nous sommes intéressés par le développement de la finance tokenisée, et de quelle manière cela impacte les instruments que nous utilisons pour remplir notre mandat.
I/ La tokenisation de la finance présente un intérêt primordial pour deux raisons principales :
1/ Elle fait partie des grands moteurs de transformation de notre paysage financier
De fait, les technologies numériques transforment la finance en profondeur, faisant émerger une vague de nouveaux acteurs à la croisée de l'informatique et de la finance, d’actifs numériques, sous une forme nouvelle, tokenisée, généralement appelés crypto-actifs, pour l'investissement et le règlement, et de nouvelles infrastructures d'échange et de règlement. Leur combinaison se traduit par des activités et des services qui ont d'abord touché le domaine des paiements et qui s’étendent désormais plus largement.
Parmi eux, la finance décentralisée, la DeFi, émerge comme une alternative, fondée sur les crypto-actifs, à la finance classique où la prestation de services est désintermédiée et la gouvernance décentralisée ; elle est notamment rendue possible grâce à des blockchains non permissionnées, des automates exécuteurs de clauses (smart contracts) et des applications décentralisées (Dapps).
Pour l'heure, l'écosystème des crypto-actifs est loin d'être assez important pour menacer le rôle dominant de la finance classique. Cela pourrait toutefois évoluer à l'avenir, si nous regardons au‑delà des difficultés actuelles du secteur. C’est pourquoi nous estimons qu’il est important de rester vigilant.
2/ La deuxième raison de notre intérêt est l'impact ambivalent que la tokenisation de la finance pourrait avoir sur le fonctionnement de notre système financier, tant en termes d'efficacité que de stabilité
Du point de vue de l'efficacité, le recours à la DLT, qui sous-tend le développement de la finance tokenisée, constitue un bon exemple. Outre son potentiel largement reconnu d’amélioration de la transparence, avec un meilleur suivi des transactions et des droits de propriété, la DLT présente également un bon rapport coût-efficacité et une disponibilité 24 heures sur 24. Toutefois, elle entraîne également un risque de fragmentation des processus, si les blockchains qui la sous‑tendent ne sont pas interopérables et ne peuvent pas interagir sans heurts avec les systèmes de compensation, de règlement et de paiement centralisés existants. Cette interopérabilité, pour l'instant, reste à garantir.
Du point de vue de la stabilité, il est clair qu'à l'heure actuelle, l'écosystème des crypto-actifs n'est pas suffisamment important et interconnecté pour menacer la stabilité de l'ensemble du système financier, comme l’a montré l'impact limité sur la finance traditionnelle des perturbations sur le marché des crypto-actifs en mai et juin derniers après l'effondrement de Terra-Luna et, plus récemment, après l'effondrement du conglomérat de crypto-actifs FTX.
Toutefois, permettez-moi d’abord de souligner que ces effondrements ont eu des effets de contagion négatifs importants au sein de l'écosystème des crypto-actifs, et ensuite, qu’en tentant de reproduire certaines des fonctions assurées par le système financier classique, l'écosystème des crypto-actifs hérite des vulnérabilités de ce dernier et pourrait les amplifier. Par exemple, la tokenisation accroît les risques opérationnels, en particulier les risques cyber. Le risque cyber constitue aujourd’hui le premier risque opérationnel pour les acteurs financiers, et il a la capacité de compromettre la stabilité du système financier dans son ensemble. Dans ce contexte, la tokenisation de la finance crée de nouveaux points de vulnérabilité : je citerai comme exemples les ponts (bridges) entre les blockchains, ou les oracles (systèmes de gestion de bases de données) qui alimentent les blockchains en données. De plus, les problèmes de gouvernance des infrastructures DLT publiques, qui contribuent fortement au risque de piratage, sont encore loin d'être résolus.
II) Impact sur notre rôle et nos activités
En réponse à ces transformations, nous estimons que notre rôle est double : en tant qu’autorité chargée de la stabilité financière, il inclut de contribuer à intégrer la finance tokenisée dans un cadre réglementaire permettant de profiter de ses avantages, mais également de maîtriser ses risques de manière appropriée afin de préserver la stabilité financière et donc la confiance. Mais nous considérons aussi que nous faisons partie de l’écosystème innovant avec comme objectif d’agir en tant que facilitateur et catalyseur, via notre rôle opérationnel de fournisseur de services de banque centrale.
1/ Contribuer à un cadre réglementaire propice à la confiance
Fondamentalement, ce qui ne change pas dans le secteur financier c’est le besoin de confiance. Les consommateurs de services financiers doivent avoir confiance : dans la sécurité des transactions, dans la protection de leurs actifs et dans leur liberté de choix. Les acteurs du secteur doivent également avoir confiance les uns dans les autres, parce qu’ils restent interdépendants, et avoir confiance dans les règles du jeu, c’est-à-dire dans le cadre réglementaire dans lequel ils exercent leur activité.
En tant qu’autorités chargées de la stabilité financière, les banques centrales et les superviseurs ont un rôle à jouer pour maintenir cette confiance, sous toutes les formes que je viens de mentionner.
À cet égard, je voudrais partager avec vous trois convictions :
– premièrement, les piliers traditionnels qui garantissent la confiance, dont les tiers de confiance, les banques centrales et les superviseurs, ne peuvent être remplacés par une confiance « algorithmique », c’est-à-dire par des règles du jeu qui seraient codées une fois pour toutes et dont le respect serait confié à des algorithmes, même s’ils sont intégrés dans des « contrats intelligents »... Les forces qui poussent vers une finance tokenisée et décentralisée feront-elles disparaître les relations déséquilibrées ? Ou encore les mécanismes de gouvernance défaillants, la concentration des risques opérationnels et les cyberattaques ? À mon avis, la réponse est non. C’est pourquoi les tiers de confiance, les banques centrales et les autorités de surveillance demeurent nécessaires et ne sont, de mon point de vue, pas près de disparaître...
– deuxièmement, et c’est un corollaire de mon premier point, la confiance suppose que la monnaie de banque centrale demeure le point d’ancrage du système financier ;
– enfin, la confiance requiert un cadre réglementaire clair, équitable (« même activité, même risque, même règle ») et équilibré, c’est-à-dire capable à la fois d’encourager l’innovation, de protéger de manière adéquate les consommateurs et de maintenir la stabilité de notre système financier.
Les bouleversements subis par l’écosystème des crypto-actifs et la crise de confiance qui a résulté de leurs retombées montrent clairement, de notre point de vue d’autorité chargée de la stabilité financière, que la mise en œuvre d’un tel cadre réglementaire propice à la confiance est un impératif urgent. L’Europe a ouvert la voie dans ce domaine en définissant un nouveau cadre réglementaire, appelé MiCA -Markets in Crypto Assets regulation- (règlement sur les marchés de crypto-actifs). Il importe que sa mise en œuvre intervienne aussi rapidement que possible, dans le cadre d’un effort international plus large, en s’appuyant sur les recommandations de haut niveau élaborées par le CSF -Conseil de Stabilité Financière-.
2/ Au-delà du soutien apporté au développement et à l’adoption d’un cadre réglementaire propice à la confiance, nous pouvons également, en tant que banque centrale, jouer un rôle opérationnel positif en revisitant les services de monnaie de banque centrale que nous fournissons, dans le but de les adapter à l’ère numérique et au possible développement associé de la finance tokenisée.
C’est la raison pour laquelle, en 2020, la Banque de France a lancé un programme d’expérimentation à grande échelle portant sur une MNBC de gros, avec plusieurs acteurs de marché. Ce programme nous a permis de mieux comprendre le fonctionnement des DLT et les avantages et les risques qui devraient en résulter pour les marchés financiers.
Notre principale motivation est d’étendre aux transactions effectuées sur DLT la confiance qui existe dans nos infrastructures et nos actifs de règlement. Le règlement de ces transactions en monnaie de banque centrale apparaît essentiel pour prémunir les acteurs de ces marchés contre les risques de contrepartie inhérents à d’autres actifs de règlement tokenisés privés. Le nouveau régime pilote européen pour la DLT, qui entrera en vigueur en mars de cette année, nous permettra de poursuivre nos expérimentations dans un cadre réglementaire simplifié.
Parallèlement, la Banque de France contribue à la réflexion sur la possibilité d’une MNBC de détail : les banques centrales de l’Eurosystème sont actuellement engagées dans ce projet, sous l’égide de la BCE, avec la phase d’investigation en cours pour un euro numérique. L’évolution du paysage des paiements nous conduit à réfléchir sur les moyens que pourraient utiliser les citoyens pour accéder à la monnaie de banque centrale, y compris dans le monde numérique.
En conclusion, je dirais que la tokenisation peut être une bénédiction ou une malédiction pour le fonctionnement du système financier. Je suis convaincu que nous pouvons collectivement en tirer le meilleur parti si nous veillons à ce que son développement se fasse au sein d’un cadre de confiance dans lequel une bonne réglementation a un rôle important à jouer.
Source
I/ La tokenisation de la finance présente un intérêt primordial pour deux raisons principales :
1/ Elle fait partie des grands moteurs de transformation de notre paysage financier
De fait, les technologies numériques transforment la finance en profondeur, faisant émerger une vague de nouveaux acteurs à la croisée de l'informatique et de la finance, d’actifs numériques, sous une forme nouvelle, tokenisée, généralement appelés crypto-actifs, pour l'investissement et le règlement, et de nouvelles infrastructures d'échange et de règlement. Leur combinaison se traduit par des activités et des services qui ont d'abord touché le domaine des paiements et qui s’étendent désormais plus largement.
Parmi eux, la finance décentralisée, la DeFi, émerge comme une alternative, fondée sur les crypto-actifs, à la finance classique où la prestation de services est désintermédiée et la gouvernance décentralisée ; elle est notamment rendue possible grâce à des blockchains non permissionnées, des automates exécuteurs de clauses (smart contracts) et des applications décentralisées (Dapps).
Pour l'heure, l'écosystème des crypto-actifs est loin d'être assez important pour menacer le rôle dominant de la finance classique. Cela pourrait toutefois évoluer à l'avenir, si nous regardons au‑delà des difficultés actuelles du secteur. C’est pourquoi nous estimons qu’il est important de rester vigilant.
2/ La deuxième raison de notre intérêt est l'impact ambivalent que la tokenisation de la finance pourrait avoir sur le fonctionnement de notre système financier, tant en termes d'efficacité que de stabilité
Du point de vue de l'efficacité, le recours à la DLT, qui sous-tend le développement de la finance tokenisée, constitue un bon exemple. Outre son potentiel largement reconnu d’amélioration de la transparence, avec un meilleur suivi des transactions et des droits de propriété, la DLT présente également un bon rapport coût-efficacité et une disponibilité 24 heures sur 24. Toutefois, elle entraîne également un risque de fragmentation des processus, si les blockchains qui la sous‑tendent ne sont pas interopérables et ne peuvent pas interagir sans heurts avec les systèmes de compensation, de règlement et de paiement centralisés existants. Cette interopérabilité, pour l'instant, reste à garantir.
Du point de vue de la stabilité, il est clair qu'à l'heure actuelle, l'écosystème des crypto-actifs n'est pas suffisamment important et interconnecté pour menacer la stabilité de l'ensemble du système financier, comme l’a montré l'impact limité sur la finance traditionnelle des perturbations sur le marché des crypto-actifs en mai et juin derniers après l'effondrement de Terra-Luna et, plus récemment, après l'effondrement du conglomérat de crypto-actifs FTX.
Toutefois, permettez-moi d’abord de souligner que ces effondrements ont eu des effets de contagion négatifs importants au sein de l'écosystème des crypto-actifs, et ensuite, qu’en tentant de reproduire certaines des fonctions assurées par le système financier classique, l'écosystème des crypto-actifs hérite des vulnérabilités de ce dernier et pourrait les amplifier. Par exemple, la tokenisation accroît les risques opérationnels, en particulier les risques cyber. Le risque cyber constitue aujourd’hui le premier risque opérationnel pour les acteurs financiers, et il a la capacité de compromettre la stabilité du système financier dans son ensemble. Dans ce contexte, la tokenisation de la finance crée de nouveaux points de vulnérabilité : je citerai comme exemples les ponts (bridges) entre les blockchains, ou les oracles (systèmes de gestion de bases de données) qui alimentent les blockchains en données. De plus, les problèmes de gouvernance des infrastructures DLT publiques, qui contribuent fortement au risque de piratage, sont encore loin d'être résolus.
II) Impact sur notre rôle et nos activités
En réponse à ces transformations, nous estimons que notre rôle est double : en tant qu’autorité chargée de la stabilité financière, il inclut de contribuer à intégrer la finance tokenisée dans un cadre réglementaire permettant de profiter de ses avantages, mais également de maîtriser ses risques de manière appropriée afin de préserver la stabilité financière et donc la confiance. Mais nous considérons aussi que nous faisons partie de l’écosystème innovant avec comme objectif d’agir en tant que facilitateur et catalyseur, via notre rôle opérationnel de fournisseur de services de banque centrale.
1/ Contribuer à un cadre réglementaire propice à la confiance
Fondamentalement, ce qui ne change pas dans le secteur financier c’est le besoin de confiance. Les consommateurs de services financiers doivent avoir confiance : dans la sécurité des transactions, dans la protection de leurs actifs et dans leur liberté de choix. Les acteurs du secteur doivent également avoir confiance les uns dans les autres, parce qu’ils restent interdépendants, et avoir confiance dans les règles du jeu, c’est-à-dire dans le cadre réglementaire dans lequel ils exercent leur activité.
En tant qu’autorités chargées de la stabilité financière, les banques centrales et les superviseurs ont un rôle à jouer pour maintenir cette confiance, sous toutes les formes que je viens de mentionner.
À cet égard, je voudrais partager avec vous trois convictions :
– premièrement, les piliers traditionnels qui garantissent la confiance, dont les tiers de confiance, les banques centrales et les superviseurs, ne peuvent être remplacés par une confiance « algorithmique », c’est-à-dire par des règles du jeu qui seraient codées une fois pour toutes et dont le respect serait confié à des algorithmes, même s’ils sont intégrés dans des « contrats intelligents »... Les forces qui poussent vers une finance tokenisée et décentralisée feront-elles disparaître les relations déséquilibrées ? Ou encore les mécanismes de gouvernance défaillants, la concentration des risques opérationnels et les cyberattaques ? À mon avis, la réponse est non. C’est pourquoi les tiers de confiance, les banques centrales et les autorités de surveillance demeurent nécessaires et ne sont, de mon point de vue, pas près de disparaître...
– deuxièmement, et c’est un corollaire de mon premier point, la confiance suppose que la monnaie de banque centrale demeure le point d’ancrage du système financier ;
– enfin, la confiance requiert un cadre réglementaire clair, équitable (« même activité, même risque, même règle ») et équilibré, c’est-à-dire capable à la fois d’encourager l’innovation, de protéger de manière adéquate les consommateurs et de maintenir la stabilité de notre système financier.
Les bouleversements subis par l’écosystème des crypto-actifs et la crise de confiance qui a résulté de leurs retombées montrent clairement, de notre point de vue d’autorité chargée de la stabilité financière, que la mise en œuvre d’un tel cadre réglementaire propice à la confiance est un impératif urgent. L’Europe a ouvert la voie dans ce domaine en définissant un nouveau cadre réglementaire, appelé MiCA -Markets in Crypto Assets regulation- (règlement sur les marchés de crypto-actifs). Il importe que sa mise en œuvre intervienne aussi rapidement que possible, dans le cadre d’un effort international plus large, en s’appuyant sur les recommandations de haut niveau élaborées par le CSF -Conseil de Stabilité Financière-.
2/ Au-delà du soutien apporté au développement et à l’adoption d’un cadre réglementaire propice à la confiance, nous pouvons également, en tant que banque centrale, jouer un rôle opérationnel positif en revisitant les services de monnaie de banque centrale que nous fournissons, dans le but de les adapter à l’ère numérique et au possible développement associé de la finance tokenisée.
C’est la raison pour laquelle, en 2020, la Banque de France a lancé un programme d’expérimentation à grande échelle portant sur une MNBC de gros, avec plusieurs acteurs de marché. Ce programme nous a permis de mieux comprendre le fonctionnement des DLT et les avantages et les risques qui devraient en résulter pour les marchés financiers.
Notre principale motivation est d’étendre aux transactions effectuées sur DLT la confiance qui existe dans nos infrastructures et nos actifs de règlement. Le règlement de ces transactions en monnaie de banque centrale apparaît essentiel pour prémunir les acteurs de ces marchés contre les risques de contrepartie inhérents à d’autres actifs de règlement tokenisés privés. Le nouveau régime pilote européen pour la DLT, qui entrera en vigueur en mars de cette année, nous permettra de poursuivre nos expérimentations dans un cadre réglementaire simplifié.
Parallèlement, la Banque de France contribue à la réflexion sur la possibilité d’une MNBC de détail : les banques centrales de l’Eurosystème sont actuellement engagées dans ce projet, sous l’égide de la BCE, avec la phase d’investigation en cours pour un euro numérique. L’évolution du paysage des paiements nous conduit à réfléchir sur les moyens que pourraient utiliser les citoyens pour accéder à la monnaie de banque centrale, y compris dans le monde numérique.
En conclusion, je dirais que la tokenisation peut être une bénédiction ou une malédiction pour le fonctionnement du système financier. Je suis convaincu que nous pouvons collectivement en tirer le meilleur parti si nous veillons à ce que son développement se fasse au sein d’un cadre de confiance dans lequel une bonne réglementation a un rôle important à jouer.
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Disclaimer: The text above is a press release that was not written by Finyear.com.
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Avertissement : Le texte ci-dessus est un communiqué de presse qui n'a pas été rédigé par Finyear.com.
L'émetteur est seul responsable du contenu de cette annonce.
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