2,5 % de croissance en France ? Pas impossible, mais presque

Un vent d'euphorie semble souffler sur la zone euro et sur la France depuis quelques semaines. Selon certains prévisionnistes, notamment ceux des organes officiels que sont la Commission européenne et l'INSEE, l'UEM et la France auraient d'ores et déjà retrouvé le chemin de la croissance forte, qui pourrait même avoisiner les 2,5 % dès 2018. A l'évidence, la réalisation d'une telle conjecture ne pourrait que nous faire plaisir. Seulement voilà : en économie, la magie n'existe pas. Autrement dit, pour pouvoir atteindre une croissance durable de 2,5 %, il faut un certain nombre d'ingrédients dont la France et la zone euro ne disposent pas pour le moment.


Marc Touati
Certes, la faiblesse des cours du pétrole et des matières premières au sens large, le caractère extrêmement accommodant de la politique de la BCE ou encore le maintien des taux d'intérêt obligataires sur des niveaux exagérément bas ont aidé et aideront encore la croissance économique. Pour autant, il s'agit là de conditions nécessaires mais pas suffisantes pour permettre à cette dernière d'atteindre 2,5 %. D'ailleurs, d'autres éléments conjoncturels agissent déjà à la baisse sur la dynamique économique : le ralentissement dans la plupart des pays émergents, Chine et Inde en tête, la remontée de l'euro, notamment face au dollar, ou encore les incertitudes géopolitiques internationales. Mais au-delà de ces évolutions conjoncturelles, certes non négligeables, le vrai handicap de la zone euro et plus particulièrement de la France, réside dans la faiblesse de leur croissance structurelle.

Pour ceux qui ne le sauraient pas, rappelons ce que signifie ce concept. Pour faire simple, la croissance structurelle correspond à la croissance du PIB réel (i.e. la richesse intérieure hors inflation) obtenue lors d'un fonctionnement normal de l'économie, c'est-à-dire sans catastrophe particulière, sans soutien des politiques conjoncturelles et sans excès inflationnistes durables. Autrement dit, il s'agit du rythme de croisière de la croissance d'une économie. Celle-ci dépend en fait de trois éléments structurels et structurants, en l'occurrence le facteur « travail », c'est-à-dire le volume d'heures travaillées, le facteur « capital » également appelé « investissement » et enfin le facteur « progrès technique ». C'est donc en agissant sur ou en subissant l'évolution de ces trois éléments que la croissance structurelle va varier.

Au début des années 1990, ce niveau d'équilibre de la croissance était identique des deux côtés de l'Atlantique et atteignait 2,5 % par an. A l'époque, de nombreux économistes faisaient remarquer que la croissance américaine était beaucoup plus heurtée que celle de l'Europe, la première connaissant une grande amplitude entre les phases de surchauffe et de récession, la seconde étant beaucoup plus lissée, notamment grâce au rôle de stabilisateurs économiques que jouaient à l'époque les dépenses publiques. Néanmoins, à moyen terme, les Etats-Unis, l'Europe et la France se retrouvaient sur un pied d'égalité.

La décennie 1990 va fortement changer la donne. En effet, après avoir été revigorés grâce aux Reaganomics, c'est-à-dire grâce au mélange keynésiano-libéral de la politique économique de l'ère Reagan, les Etats-Unis vont se lancer corps et âme dans la révolution des nouvelles technologies de l'information et de la communication. Si, comme lors de chaque révolution technologique, une bulle financière puis son dégonflement vont évidemment tempérer l'euphorie des années 90, cette révolution va considérablement augmenter la croissance structurelle de l'Oncle Sam, qui va alors atteindre 3 % en 2000. Bien loin de cette appréciation, la croissance structurelle de la zone euro et celle de la France vont pâtir du manque d'engouement pour la révolution des NTIC, mais aussi des difficultés allemandes nées de la réunification, sans oublier des politiques monétaires et budgétaires structurellement défavorables au dynamisme de l'activité. Dans ce cadre, la croissance structurelle de la zone euro et celle de la France vont s'affaisser à 1,8 %. Seul réconfort, celle du Japon va passer de 6 % dans les années 1980 à environ 1 % quinze ans plus tard...

Mais l'histoire ne s'arrête malheureusement pas là. Car la crise des années 2007-2015 a de nouveau amputé les niveaux de croissance structurelle de la totalité des pays développés. En effet, compte tenu des dérapages du passé, les différents effets de levier (sur les marchés, mais aussi au niveau de l'endettement bancaire des ménages et des entreprises) ont été considérablement réduits. Autrement dit, les dépenses d'investissement et de consommation ont mécaniquement décéléré. Le monde dans lequel nous vivons désormais est donc basé sur deux piliers : moins de risque mais aussi moins de croissance.

Selon nos estimations, l'impact négatif de cette crise sur la croissance structurelle a été de l'ordre de 0,5 point outre-Atlantique et d'environ 1 point dans la zone euro. Cela signifie donc que celle des Etats-Unis a retrouvé son niveau des années 1990, à 2,5 %, mais aussi que celle de l'UEM et de la France n'est plus que de 0,8 %. En d'autres termes, notre base de départ est bien plus basse qu'aux Etats-Unis et qu'il y a quinze ans. Le plus problématique réside dans le fait que pour engager un cercle vertueux de fortes créations d'emplois et aussi pour rembourser chaque année la charge des intérêts de la dette publique, une croissance d'au moins 2 % est nécessaire et que cette dernière doit atteindre 2,5 % pour éviter l'explosion de la bulle de la dette publique à partir de 2018-2020 (liée notamment au non financement de la retraite par répartition dans la plupart des pays de la zone euro).

Or, pour parvenir à ce niveau de 2,5 %, il faut engager de profondes réformes structurelles sur la fiscalité, le marché du travail ou encore le financement de l'économie, qui n'ont toujours pas été menées, en particulier en France. Autrement dit, ce ne sont pas quelques évolutions conjoncturelles favorables qui permettront de masquer les faiblesses structurelles de l'économie française. Dans ce cadre, nous sommes contraints de confirmer notre prévision d'une croissance française d'environ 1,3 % tant en 2017 qu'en 2018. Quant à l'atteinte durable des 2,5 %, elle ne sera possible qu'après la modernisation de l'économie française et donc, dans le meilleur des cas, pas avant 2020. Certes, mieux vaut tard que jamais. La question reste néanmoins de savoir si la population et les entreprises françaises auront la force d'attendre…

Marc Touati
Economiste.
Président du cabinet ACDEFI (premier cabinet de conseil économique et financier indépendant).

www.acdefi.com


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Lundi 26 Juin 2017


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