Bernard Marois
Revenons en détail sur chaque région, en commençant par les Etats-Unis. La première économie du monde connaît une croissance d’environ 2,5 %, certes inférieure à celle connue lors des sorties de crise précédentes, mais suffisante pour permettre une baisse du chômage jusqu’à 7 % de la population active. Cette réussite relative a été en partie favorisée par la baisse continue du dollar, elle-même confortée par des taux d’intérêt très bas et une liquidité monétaire abondante. Cela a entraîné une hausse des exportations américaines et un début de « relocalisation » de certaines industries sur le sol américain. Néanmoins, le déficit budgétaire reste abyssal, la dette publique dépasse désormais 110 % du PIB et le déficit commercial peine à se réduire. De plus, les inégalités ont fortement augmenté depuis 10 ans : les plus riches (1 %) ont vu leur niveau de vie augmenter de 34 %, alors que celui-ci stagnait pour les classes moyennes. Notons, pour terminer, que le dollar reste malgré tout la monnaie dominante, ce qui explique que les créanciers étrangers (Chinois, Japonais, pays de l’OPEP) ont peu d’influence sur la politique économique américaine.
Passons maintenant à la Chine. Celle-ci se trouve en situation de transition(2). Sa croissance reste forte (7,5 % du PIB), mais son excédent commercial commence à se réduire, sous l’action d’une hausse de la consommation intérieure et un début de transfert d’usines vers des pays meilleur marché (Vietnam, Bangladesh, Indonésie) : le coût du travail tend à monter et, dans le même temps, la technologie reste limitée à certains secteurs spécifiques (spatial, aéronautique, militaire). Ainsi, dans l’automobile la marque Chinoise Geely peine à s’imposer face à Volkswagen, General Motors ou Hyundaï. De même, dans l’armement naval, les Chinois sont distancés par les Coréens, technologiquement supérieurs. Ajoutons 2 autres handicaps : l’absence de marques chinoises internationales (à part, Haier, Huawei ou Lenovo) et la difficulté de trouver des managers « formés à l’occidentale ». En conséquence, la « locomotive » chinoise risque de s’essouffler dans les prochaines années.
Quant au Japon, malgré les initiatives du Premier Ministre, Monsieur Abe, qui a tenté de relancer l’économie, en inondant le marché de liquidités et en faisant pression sur le yen pour le déprécier, il semble que le redémarrage de la croissance ait fait long feu et que le pays retombe lentement en déflation. Pour le moment, les Japonais n’ont pas trouvé de réponse satisfaisante à leurs deux handicaps : une démographie très défavorable (et donc un vieillissement de la population accéléré) et une dette de plus en plus insupportable bien que financée essentiellement par les résidents :
250 % du PIB !
En ce qui concerne l’Inde, les nouvelles ne sont pas bonnes : crédité d’une croissance de 11 % du PIB en 2010, le pays aura de la peine à dépasser 2,5 % en 2013, avec un déficit courant supérieur à 6 % du PIB et une industrie qui représente moins de 25 % de l’économie nationale. Comme je l’ai indiqué dans un article précédent(3), l’Inde a un gros potentiel (marché de 1,3 milliard de consommateurs), mais d’énormes contraintes (bureaucratie, corruption, système des castes, infrastructures déficientes, ouverture internationale faible etc.).
Par contre, certains pays asiatiques semblent prendre le relais de la Chine et de l’Inde. On peut citer à titre d’illustration : l’Indonésie, marché de 245 millions d’habitants, qui croît de 6 % par an ; le Vietnam (90 millions d’habitants) qui espère atteindre le 7 % en 2013 ; la Malaisie : 5 % en 2013. De « nouveaux » pays apparaissent sur les radars : la Mongolie (12 % de croissance) ou le Myanmar (Birmanie), avec 7 % de progression. Cela explique que l’Asie hors Japon aura connu une croissance comprise entre 6,5 % et 5,5 % par an entre 2011 et 2013.
Nous nous attarderons moins longtemps sur 2 autres zones prometteuses : l’Afrique et l’Amérique Latine. La première ne représente que 4 % de la richesse mondiale, mais en pèsera 7 % en 2030
et 12 % en 2050. Sur les 10 dernières années, la croissance africaine a atteint 5,5 % contre un peu plus de 2 % dans les décennies précédentes ; en parallèle, l’endettement du continent africain est passé de 54 % en 2004 à 34 % en 2013. Déjà, la classe moyenne rassemble plus de 300 millions de consommateurs(4). En ce qui concerne l’Amérique Latine, ses performances sont très satisfaisantes : environ 3,5 % de croissance annuelle, même si certains pays déçoivent un peu (le Brésil, dont la croissance a ralenti, à la suite de la surévaluation du réal ou l’Argentine, freinée par la persistance de problèmes structurels), alors que d’autres pays rebondissent, tel la Colombie ou le Chili.
Reste l’Europe. Un mot rapide sur la Russie, qui peine à sortir du statut de « pays exportateur de pétrole », qui la fragilise (l’apparition du gaz de schiste risque de diminuer son pouvoir de négociation) alors que son industrie demeure peu compétitive. En outre, les perspectives démographiques sont catastrophiques (évolution à la « japonaise »). L’Europe émergente se porte relativement bien, à l’exemple de la Pologne (croissance supérieure à 4 %), de la Slovaquie ou même de la Roumanie. Servant de base arrière à l’industrie allemande, cette zone bénéficie à la fois de coûts de main-d’œuvre compétitifs et de monnaies susceptibles de dévaluer (pour la plupart de ces pays) pour redonner une marge de manœuvre. En ce qui concerne la Turquie, aux frontières de l’Europe, sa croissance reste substantielle (4 % du PIB), en raison d’une consommation domestique élevée, qui entraîne par contre, une hausse du déficit commercial désormais supérieur à 6 % du PIB.
Nous conclurons par l’Europe Occidentale. Saluons d’abord les bons résultats du Royaume-Uni :
1,4 % de croissance en 2013 et 2 % prévus en 2014. Ces performances ont été obtenues, d’une part, grâce à une livre sterling relativement faible, et d’autre part, grâce à une politique économique favorable aux entreprises (baisse des impôts). Quant à la zone euro, elle se répartit en 3 groupes. L’Europe du Nord, et particulièrement l’Allemagne, qui sort progressivement de la crise, grâce à la réussite de leurs réformes structurelles(5). Les pays de l’Europe du Sud, qui ont énormément souffert depuis 2010, mais s’engagent résolument dans une remise en ordre de leurs économies. A titre d’illustration, citons l’Espagne, dont le PIB passera de -1,3 % en 2013 à +0,2 % en 2014, avec dans le même temps un rééquilibrage de la balance courante : +2,9 % en 2014, au lieu de –4,8 % en 2009 ; même chose pour l’Italie : croissance de +0,7 % du PIB en 2014, après -1,8 % en 2013. Enfin, dernier groupe : la France, dont les performances sont très médiocres ; car toutes négatives (-0,1 % de croissance, en 2013 ; déficit de la balance courante de -1,8 % ; déficit budgétaire de -4,1 % ; hausse de l’endettement public) sans avoir commencé à réformer sérieusement son économie.
Avec une zone euro dont la croissance ne dépassera pas 0,5 % l’année prochaine, avec un euro arrivé à un taux surévalué de 1,35 dollar minimum, avec des partenaires-concurrents en regain de compétitivité (Espagne, Italie, Royaume-Uni), la France risque de souffrir en 2014.
Bernard MAROIS
Professeur Emérite à HEC PARIS
Président d’Honneur du Club Finance HEC
(1) La croissance n’a été que de 0,1 % au troisième trimestre, contre 0,3 % lors du deuxième trimestre.
(2) Notons que la Chine va engager diverses réformes destinées à « normaliser » son développement futur : une importante réforme agraire, la fin de la politique de l’enfant unique, la lutte contre la corruption, l’élargissement du secteur privé.
(3) Cf. « l’Inde, prochain géant économique ? », 20 janvier 2011.
(4) Voir mon éditorial du 13 mai 2013, « Un continent oublié, l’Afrique ».
(5) Rappelons que l’Allemagne doit voir son PIB croître de presque 1 % en 2014, avec un excédent commercial de 7 % du PIB, un budget équilibré et une dette en diminution progressive
Passons maintenant à la Chine. Celle-ci se trouve en situation de transition(2). Sa croissance reste forte (7,5 % du PIB), mais son excédent commercial commence à se réduire, sous l’action d’une hausse de la consommation intérieure et un début de transfert d’usines vers des pays meilleur marché (Vietnam, Bangladesh, Indonésie) : le coût du travail tend à monter et, dans le même temps, la technologie reste limitée à certains secteurs spécifiques (spatial, aéronautique, militaire). Ainsi, dans l’automobile la marque Chinoise Geely peine à s’imposer face à Volkswagen, General Motors ou Hyundaï. De même, dans l’armement naval, les Chinois sont distancés par les Coréens, technologiquement supérieurs. Ajoutons 2 autres handicaps : l’absence de marques chinoises internationales (à part, Haier, Huawei ou Lenovo) et la difficulté de trouver des managers « formés à l’occidentale ». En conséquence, la « locomotive » chinoise risque de s’essouffler dans les prochaines années.
Quant au Japon, malgré les initiatives du Premier Ministre, Monsieur Abe, qui a tenté de relancer l’économie, en inondant le marché de liquidités et en faisant pression sur le yen pour le déprécier, il semble que le redémarrage de la croissance ait fait long feu et que le pays retombe lentement en déflation. Pour le moment, les Japonais n’ont pas trouvé de réponse satisfaisante à leurs deux handicaps : une démographie très défavorable (et donc un vieillissement de la population accéléré) et une dette de plus en plus insupportable bien que financée essentiellement par les résidents :
250 % du PIB !
En ce qui concerne l’Inde, les nouvelles ne sont pas bonnes : crédité d’une croissance de 11 % du PIB en 2010, le pays aura de la peine à dépasser 2,5 % en 2013, avec un déficit courant supérieur à 6 % du PIB et une industrie qui représente moins de 25 % de l’économie nationale. Comme je l’ai indiqué dans un article précédent(3), l’Inde a un gros potentiel (marché de 1,3 milliard de consommateurs), mais d’énormes contraintes (bureaucratie, corruption, système des castes, infrastructures déficientes, ouverture internationale faible etc.).
Par contre, certains pays asiatiques semblent prendre le relais de la Chine et de l’Inde. On peut citer à titre d’illustration : l’Indonésie, marché de 245 millions d’habitants, qui croît de 6 % par an ; le Vietnam (90 millions d’habitants) qui espère atteindre le 7 % en 2013 ; la Malaisie : 5 % en 2013. De « nouveaux » pays apparaissent sur les radars : la Mongolie (12 % de croissance) ou le Myanmar (Birmanie), avec 7 % de progression. Cela explique que l’Asie hors Japon aura connu une croissance comprise entre 6,5 % et 5,5 % par an entre 2011 et 2013.
Nous nous attarderons moins longtemps sur 2 autres zones prometteuses : l’Afrique et l’Amérique Latine. La première ne représente que 4 % de la richesse mondiale, mais en pèsera 7 % en 2030
et 12 % en 2050. Sur les 10 dernières années, la croissance africaine a atteint 5,5 % contre un peu plus de 2 % dans les décennies précédentes ; en parallèle, l’endettement du continent africain est passé de 54 % en 2004 à 34 % en 2013. Déjà, la classe moyenne rassemble plus de 300 millions de consommateurs(4). En ce qui concerne l’Amérique Latine, ses performances sont très satisfaisantes : environ 3,5 % de croissance annuelle, même si certains pays déçoivent un peu (le Brésil, dont la croissance a ralenti, à la suite de la surévaluation du réal ou l’Argentine, freinée par la persistance de problèmes structurels), alors que d’autres pays rebondissent, tel la Colombie ou le Chili.
Reste l’Europe. Un mot rapide sur la Russie, qui peine à sortir du statut de « pays exportateur de pétrole », qui la fragilise (l’apparition du gaz de schiste risque de diminuer son pouvoir de négociation) alors que son industrie demeure peu compétitive. En outre, les perspectives démographiques sont catastrophiques (évolution à la « japonaise »). L’Europe émergente se porte relativement bien, à l’exemple de la Pologne (croissance supérieure à 4 %), de la Slovaquie ou même de la Roumanie. Servant de base arrière à l’industrie allemande, cette zone bénéficie à la fois de coûts de main-d’œuvre compétitifs et de monnaies susceptibles de dévaluer (pour la plupart de ces pays) pour redonner une marge de manœuvre. En ce qui concerne la Turquie, aux frontières de l’Europe, sa croissance reste substantielle (4 % du PIB), en raison d’une consommation domestique élevée, qui entraîne par contre, une hausse du déficit commercial désormais supérieur à 6 % du PIB.
Nous conclurons par l’Europe Occidentale. Saluons d’abord les bons résultats du Royaume-Uni :
1,4 % de croissance en 2013 et 2 % prévus en 2014. Ces performances ont été obtenues, d’une part, grâce à une livre sterling relativement faible, et d’autre part, grâce à une politique économique favorable aux entreprises (baisse des impôts). Quant à la zone euro, elle se répartit en 3 groupes. L’Europe du Nord, et particulièrement l’Allemagne, qui sort progressivement de la crise, grâce à la réussite de leurs réformes structurelles(5). Les pays de l’Europe du Sud, qui ont énormément souffert depuis 2010, mais s’engagent résolument dans une remise en ordre de leurs économies. A titre d’illustration, citons l’Espagne, dont le PIB passera de -1,3 % en 2013 à +0,2 % en 2014, avec dans le même temps un rééquilibrage de la balance courante : +2,9 % en 2014, au lieu de –4,8 % en 2009 ; même chose pour l’Italie : croissance de +0,7 % du PIB en 2014, après -1,8 % en 2013. Enfin, dernier groupe : la France, dont les performances sont très médiocres ; car toutes négatives (-0,1 % de croissance, en 2013 ; déficit de la balance courante de -1,8 % ; déficit budgétaire de -4,1 % ; hausse de l’endettement public) sans avoir commencé à réformer sérieusement son économie.
Avec une zone euro dont la croissance ne dépassera pas 0,5 % l’année prochaine, avec un euro arrivé à un taux surévalué de 1,35 dollar minimum, avec des partenaires-concurrents en regain de compétitivité (Espagne, Italie, Royaume-Uni), la France risque de souffrir en 2014.
Bernard MAROIS
Professeur Emérite à HEC PARIS
Président d’Honneur du Club Finance HEC
(1) La croissance n’a été que de 0,1 % au troisième trimestre, contre 0,3 % lors du deuxième trimestre.
(2) Notons que la Chine va engager diverses réformes destinées à « normaliser » son développement futur : une importante réforme agraire, la fin de la politique de l’enfant unique, la lutte contre la corruption, l’élargissement du secteur privé.
(3) Cf. « l’Inde, prochain géant économique ? », 20 janvier 2011.
(4) Voir mon éditorial du 13 mai 2013, « Un continent oublié, l’Afrique ».
(5) Rappelons que l’Allemagne doit voir son PIB croître de presque 1 % en 2014, avec un excédent commercial de 7 % du PIB, un budget équilibré et une dette en diminution progressive
Recevez chaque matin par mail la newsletter Finyear, une sélection quotidienne des meilleures infos et expertises de la finance d’entreprise.
Lien direct : www.finyear.com/newsletter
Lisez chaque mois notre magazine digital sur www.finyear.com/magazine
Lien direct : www.finyear.com/newsletter
Lisez chaque mois notre magazine digital sur www.finyear.com/magazine
Autres articles
-
Binance enregistre 1 milliard $ d’entrées pendant plusieurs semaines consécutives
-
Metadev3 devient baker sur Tezos
-
Money Walkie complète sa quatrième levée de fonds par une opération de crowdfunding avec Sowefund
-
CDC Croissance renforce son soutien aux PME-ETI cotées en lançant le fonds CDC Croissance Selection PME doté de 500 M€
-
Revolut revendique la place de n°1 des applications bancaires les plus téléchargées en France