Il y a quelques années, l’idée était largement répandue que, vu les besoins croissants du monde en énergie, il y avait de la place pour toutes les énergies ; le maître mot était celui de complémentarité. Qu’observe-t-on aujourd’hui ?
D’un côté les retards pris par la libéralisation des marchés. Pour accélérer le processus, l’Union s’est donné pour objectif la création d’un marché unifié de l’énergie – et donc de l’électricité – d’ici 2015 sur le continent.
De l’autre un développement mal contrôlé des énergies renouvelables, notamment des énergies renouvelables intermittentes, qui se traduit par un bouleversement du fonctionnement des marchés qui fait perdre à ces derniers une de leurs fonctions essentielle qui consiste à fournir des informations – les « signaux – sur la marge du système et, partant, sur les besoins en investissements.
En octobre 2013, dix électriciens en appelaient à la Commission pour dénoncer la situation actuelle et demander « a workable, simplified and thus harmonised system ». La Commission annonce qu’elle fera des propositions d’ici la fin de l’année. Acceptons-en l’augure.
Ces contradictions ont été abondamment exposées dans les travaux de l’association « Sauvons le climat ». L’accent sera mis ici sur la politique de l’Allemagne qui fait figure de pionnier en matière de développement des renouvelables.
À cette contradiction il faudrait ajouter d’autres sujets qui ne font qu’ajouter à la perplexité des observateurs, tel celui de l’effondrement du marché du carbone, largement dénoncé par ailleurs et que les Allemands, en relançant le charbon, ne sont pas pressés de remettre sur pied.
La politique communautaire, l’Allemagne et les énergies renouvelables intermittentes : le chaos se prépare sous nos yeux
On sait que l’Allemagne s’est donné des objectifs ambitieux en matière de développements des énergies renouvelables : 35% de la production d’électricité à échéance 2020 à partir de sources renouvelables, principalement intermittentes ; à la même échéance, du fait de la production éolienne, le disponible sera supérieur à la demande pendant 30% du temps. Dans les négociations conduites actuellement, la CDU/CSU plaide pour 55%, le SPD pour 75% en 2030.
Nous attirons ici l’attention du lecteur sur les implications du tournant énergétique allemand (l’Energiewende) sur la politique de la Commission européenne et les systèmes électriques des pays voisins et, partant, sur le réseau français.
Les énergies renouvelables et la Commission
La priorité de la Commission – dont on rappelle qu’elle a le pouvoir d’initiative au Conseil européen – va à la libéralisation des marchés de l’énergie et de celui de l’électricité en particulier. L’objectif de l’Union européenne est l’instauration d’un marché unifié en 2015.
On ne trouve pratiquement aucune référence dans les papiers de la Commission aux coûts ou aux prix, si ce n’est, ici ou là, pour rappeler au lecteur que c’est le droit de la concurrence qui maintiendra la pression à la baisse des coûts et incitera les opérateurs à aligner leurs prix sur les coûts.
Cela dit, une dérogation a été faite au profit des énergies renouvelables au motif qu’il s’agissait d’une industrie naissante et qu’il était opportun d’aider cette industrie à accéder à la maturité. Une politique qui, en 1990 était tout à fait rationnelle. Elle se traduit par la priorité donnée à l’insertion des énergies renouvelables sur le réseau et par une politique de subvention, généralement avec prix garantis sur vingt ans (un feed-in tariff). Deux logiques sont donc à l’œuvre à Bruxelles qui, avec la montée en puissance des renouvelables, divergent de plus en plus.
Aujourd’hui les producteurs de renouvelables affirment que leurs produits ont atteint ou sont sur le point d’atteindre la parité réseau, un concept trompeur dans la mesure où tout un chacun sait bien qu’un kWh intermittent n’a pas la même valeur d’usage qu’un kWh garanti.
La Commission poursuit aujourd’hui sa politique de promotion des énergies renouvelables : inscription de nouvelles interconnexions dans le programme des investissements prioritaires, financement de programmes de recherche développement pour stockage de l’électricité etc. Le Livre Vert du 27 mars 2013, « Un cadre pour les politiques en matière de climat et d’énergie à l’horizon 2030 » (en anglais ici), fournit une bonne synthèse des idées de la Commission en la matière.
Philip Lowe, directeur général de l’Énergie à la Commission, reconnaît que la situation n’est pas satisfaisante : « À une époque où les renouvelables avaient besoin d’un coup de pouce, il s’est avéré nécessaire d’accorder à l’électricité renouvelable le privilège de ne pas couvrir les coûts qu’elle engendrait pour le système électrique. Ce n’est plus admissible aujourd’hui. » Le Directeur général introduit ainsi dans le vocabulaire de la Commission la notion de coût de l’intermittence pour le système, une notion qui va très au delà de celle de parité réseau.
Le Commissaire Öttinger, réputé proche de la Chancelière, ne dit pas autre chose ; mais, pour lui, la solution réside dans le développement des interconnexions et des technologies de stockage.
L’Allemagne estime que sa politique de promotion des énergies renouvelables s’inscrit dans le cadre d’une politique commune à l’ensemble des pays membres de l’Union Européenne, et qu’il serait donc logique que les fonds communautaires prévus sur la ligne budgétaire « Connecting Europe Facility » à partir de 2014 (pour 9,1 milliards d’euros) soient en partie consacrés à financer ces réseaux. On notera également que, dans son plan de développement à 10 ans (104 milliards d’euros), le European Network of Transmission System Operators for Electricity (ENTSO-E), qui groupe les gestionnaires de réseaux européens, évalue à 80 % la part des travaux d’extension et renforcement des réseaux de transport européens nécessités par le développement de l’électricité d’origine renouvelable.
Le mécanisme de rémunération de capacité de production est-il la solution ? L’idée est de répondre au risque, que l’on commence à voir se pointer à l’horizon, d’un manque de puissance pilotable à une échéance qui se rapproche. Plusieurs pays membres sont en train de développer de tels mécanismes ; mais les objectifs divergent déjà : les français mettent l’accent sur la capacité à la pointe ; les Allemands privilégient la capacité immédiatement disponible pour pallier les conséquences d’un brutal effacement de la demande des intermittentes. Le gouvernement fédéral a ainsi accordé au propriétaire de la toute nouvelle centrale à gaz de Irsching une subvention pour qu’il accepte de poursuivre sa production au-delà du 1er juillet 2013. Cette subvention est estimée à 100 millions € /an. 7 GW de centrales à gaz seraient en instance de mise sous cocon pour la seule Allemagne.
Une autre différence tient à ce que le mécanisme français comprend un marché secondaire et s’adresse à l’ensemble des productions et effacements tandis que le mécanisme allemand ne cherche pas la minimisation des coûts et s’adresse principalement aux capacités menacées de fermeture. Ce n’est pas la même chose et d’aucuns voient là la menace d’une certaine renationalisation des politiques. Après avoir été dans le déni pendant longtemps, la Commission essaie d’y mettre bon ordre mais elle arrive bien tard. Pour sa part, la direction générale chargée de la concurrence se propose de publier avant la fin de l’année des guidelines pour l’encadrement des aides d’état. En tout état de cause, il s’agira là de nouvelles dérogations.
Les énergies renouvelables et les pays limitrophes de l’Allemagne
L’Allemagne disposait à la fin de l’année 2012 de 60 GW de capacité (30 pour l’éolien ; 30 pour le solaire) intermittente. En 2020, la capacité des sources intermittentes installées en Allemagne sera vraisemblablement supérieure à 90 GW ; en 2030, 120 GW. La demande minimale en Allemagne est de l’ordre de 32 GW, la demande médiane de 55 GW et la demande maximale de 82 GW (Source : Rapport de la Monopolkommission ; Energie 2013).
Un tel développement se traduit par des flux considérables et aléatoires d’électricité, donc par un besoin considérable de développement des réseaux. Ce qui a pour les voisins au moins trois conséquences.
Tout d’abord, lorsque l’Allemagne est en surproduction d’énergies renouvelables intermittentes et pour peu que les interconnexions le permettent – comme on l’a vu plus haut, le développement des réseaux, notamment des interconnexions est la priorité de la Commission – le surplus est déversé sur les voisins qui – marché unique oblige – vont devoir absorber cet excédent. C’est déjà le cas. En effet, la production étant principalement au nord et la consommation au sud, les flux de bouclage, renforcés par les congestions internes allemandes, traversent les Pays-Bas, la Tchéquie et la Pologne, compliquant les transactions commerciales et la gestion du système de ces pays.
Même si la consommation d’électricité augmentait légèrement – les plans du gouvernement allemand cherchent à la stabiliser, voire à la réduire – c’est donc à des déversements considérables d’électricité fatale en provenance d’Allemagne que les pays voisins doivent se préparer. La Tchéquie a décidé d’installer à sa frontière avec l’Allemagne un transformateur déphaseur en 2016 (un tel transformateur lui permettra de repousser l’électricité indésirable qui pourrait lui arriver d’Allemagne). D’autres – Pologne, Pays-Bas déjà cités et plus récemment la Slovaquie – envisagent sérieusement de faire de même afin de protéger la stabilité de leurs réseaux ; et – loi de Kirchhoff oblige – la France ne sera pas épargnée.
Ensuite, le développement des intermittentes se traduit par un besoin d’investissements très important dans les réseaux qui vient s’ajouter à celui en centrales destinées à remplacer un parc vieillissant. Les politiques se comportent un peu comme si « l’intendance suivra ». Or pour l’instant l’intendance ne suit pas. Les causes de cet état de fait sont connues. Ce à quoi s’ajoute la question de l’extrême longueur des délais de réalisation qui est indépendante de celle des coûts et qui, en France, en Allemagne et ailleurs, constitue un défi nouveau. Contrairement à la situation qui prévalait il y encore quelques années, les délais de réalisation des grands ouvrages de transport (THT) dépassent désormais ceux des investissements de production. D’où un problème de « discordance des temps » qui peut conduire à des « coûts échoués » (c’est-à-dire des investissements partiellement improductifs).
Enfin – couplage des marchés oblige – le prix sur le marché de gros français est fortement corrélé avec celui de l’Allemagne ; il a été négatif à plusieurs reprises. Il est même descendu à moins 200 €/MWh le 16 juin 2013. Cela s’explique par le fait que les centrales pilotables préfèrent continuer à produire, même si la production intermittente est abondante de façon à être prêtes à redémarrer rapidement en cas d’effacement brutal des renouvelables intermittentes.
Des prix négatifs ? L’insertion des intermittentes, qui ont priorité d’accès sur les réseaux (une offre à prix zéro) se traduit par un déplacement vers la droite de la courbe de mérite, faisant ainsi pression à la baisse du prix d’équilibre. Ce qui met en péril la rentabilité des centrales thermiques à flamme et des centrales nucléaires. Mais ces centrales continuent à produire même quand les prix sont inférieurs à leur coût marginal de façon à être à même de pouvoir augmenter rapidement leur production en cas de chute brutale de la production intermittente. D’où, à certaines heures, des prix négatifs.
La fréquence de telles occurrences ne pourra qu’augmenter à mesure de la poursuite du déploiement des énergies renouvelables intermittentes. Cela remet gravement en cause le modèle économique des centrales pilotables et le principe même sur lequel est fondée la théorie du marché, à savoir que les prix observés sur le dit marché sont des signaux censés informer les investisseurs sur la marge du système et, par conséquent sur un éventuel besoin à investir. Aujourd’hui le prix de gros informe d’abord sur le temps qu’il fait. Le développement des sources intermittentes en France et dans les autres pays interconnectés ne peut bien sûr qu’ajouter à la problématique.
Une contradiction croissante entre court et long terme
La coordination sur le court terme se fait sous l’égide de l’ENTSO-E, dans la perspective de ce marché unifié pour 2015. Des groupes d’experts travaillent sur six nouveaux « codes de réseau » – des procédures concertées de gestion des réseaux qui, pour faire simple, vont permettre à un producteur portugais de vendre sa production à un acheteur danois avec les mêmes procédures que s’il vendait à son voisin. Cette meilleure fluidisation des marchés se traduira, disent les économistes de la Commission, par un gain de 5 milliards d’euros par an.
Dans le même temps, l’investissement qui prépare le long terme ne suit pas ; la coordination indispensable à la sécurité des approvisionnements ne marche pas. Comme on vient de le montrer, le marché a cessé d’envoyer les signaux appropriés.
Toutes les parties concernées en appellent à un nouveau « market design ». Mais le temps presse et pour l’instant on ne voit que de nouvelles dérogations qui s’ajoutent aux dérogations déjà accordées. À Bruxelles, trois directions générales se partagent la compétence (Concurrence, Energie et Environnement). La Commission, élections européennes obligent, va entrer en hibernation pour quelque temps. Tout cela n’est pas fait pour une prise de décision rapide. Les optimistes espèrent que le Conseil de mars 2014 permettra de trouver une solution.
Le mix électrique européen optimum est très différent de la somme des mix électriques optima des pays interconnectés, et l’écart ne fait que croître avec l’accroissement notamment en Allemagne des surcapacités dues à l’éolien et au solaire lorsque ces deux sources produisent en même temps avec une forte puissance.
D’un côté les retards pris par la libéralisation des marchés. Pour accélérer le processus, l’Union s’est donné pour objectif la création d’un marché unifié de l’énergie – et donc de l’électricité – d’ici 2015 sur le continent.
De l’autre un développement mal contrôlé des énergies renouvelables, notamment des énergies renouvelables intermittentes, qui se traduit par un bouleversement du fonctionnement des marchés qui fait perdre à ces derniers une de leurs fonctions essentielle qui consiste à fournir des informations – les « signaux – sur la marge du système et, partant, sur les besoins en investissements.
En octobre 2013, dix électriciens en appelaient à la Commission pour dénoncer la situation actuelle et demander « a workable, simplified and thus harmonised system ». La Commission annonce qu’elle fera des propositions d’ici la fin de l’année. Acceptons-en l’augure.
Ces contradictions ont été abondamment exposées dans les travaux de l’association « Sauvons le climat ». L’accent sera mis ici sur la politique de l’Allemagne qui fait figure de pionnier en matière de développement des renouvelables.
À cette contradiction il faudrait ajouter d’autres sujets qui ne font qu’ajouter à la perplexité des observateurs, tel celui de l’effondrement du marché du carbone, largement dénoncé par ailleurs et que les Allemands, en relançant le charbon, ne sont pas pressés de remettre sur pied.
La politique communautaire, l’Allemagne et les énergies renouvelables intermittentes : le chaos se prépare sous nos yeux
On sait que l’Allemagne s’est donné des objectifs ambitieux en matière de développements des énergies renouvelables : 35% de la production d’électricité à échéance 2020 à partir de sources renouvelables, principalement intermittentes ; à la même échéance, du fait de la production éolienne, le disponible sera supérieur à la demande pendant 30% du temps. Dans les négociations conduites actuellement, la CDU/CSU plaide pour 55%, le SPD pour 75% en 2030.
Nous attirons ici l’attention du lecteur sur les implications du tournant énergétique allemand (l’Energiewende) sur la politique de la Commission européenne et les systèmes électriques des pays voisins et, partant, sur le réseau français.
Les énergies renouvelables et la Commission
La priorité de la Commission – dont on rappelle qu’elle a le pouvoir d’initiative au Conseil européen – va à la libéralisation des marchés de l’énergie et de celui de l’électricité en particulier. L’objectif de l’Union européenne est l’instauration d’un marché unifié en 2015.
On ne trouve pratiquement aucune référence dans les papiers de la Commission aux coûts ou aux prix, si ce n’est, ici ou là, pour rappeler au lecteur que c’est le droit de la concurrence qui maintiendra la pression à la baisse des coûts et incitera les opérateurs à aligner leurs prix sur les coûts.
Cela dit, une dérogation a été faite au profit des énergies renouvelables au motif qu’il s’agissait d’une industrie naissante et qu’il était opportun d’aider cette industrie à accéder à la maturité. Une politique qui, en 1990 était tout à fait rationnelle. Elle se traduit par la priorité donnée à l’insertion des énergies renouvelables sur le réseau et par une politique de subvention, généralement avec prix garantis sur vingt ans (un feed-in tariff). Deux logiques sont donc à l’œuvre à Bruxelles qui, avec la montée en puissance des renouvelables, divergent de plus en plus.
Aujourd’hui les producteurs de renouvelables affirment que leurs produits ont atteint ou sont sur le point d’atteindre la parité réseau, un concept trompeur dans la mesure où tout un chacun sait bien qu’un kWh intermittent n’a pas la même valeur d’usage qu’un kWh garanti.
La Commission poursuit aujourd’hui sa politique de promotion des énergies renouvelables : inscription de nouvelles interconnexions dans le programme des investissements prioritaires, financement de programmes de recherche développement pour stockage de l’électricité etc. Le Livre Vert du 27 mars 2013, « Un cadre pour les politiques en matière de climat et d’énergie à l’horizon 2030 » (en anglais ici), fournit une bonne synthèse des idées de la Commission en la matière.
Philip Lowe, directeur général de l’Énergie à la Commission, reconnaît que la situation n’est pas satisfaisante : « À une époque où les renouvelables avaient besoin d’un coup de pouce, il s’est avéré nécessaire d’accorder à l’électricité renouvelable le privilège de ne pas couvrir les coûts qu’elle engendrait pour le système électrique. Ce n’est plus admissible aujourd’hui. » Le Directeur général introduit ainsi dans le vocabulaire de la Commission la notion de coût de l’intermittence pour le système, une notion qui va très au delà de celle de parité réseau.
Le Commissaire Öttinger, réputé proche de la Chancelière, ne dit pas autre chose ; mais, pour lui, la solution réside dans le développement des interconnexions et des technologies de stockage.
L’Allemagne estime que sa politique de promotion des énergies renouvelables s’inscrit dans le cadre d’une politique commune à l’ensemble des pays membres de l’Union Européenne, et qu’il serait donc logique que les fonds communautaires prévus sur la ligne budgétaire « Connecting Europe Facility » à partir de 2014 (pour 9,1 milliards d’euros) soient en partie consacrés à financer ces réseaux. On notera également que, dans son plan de développement à 10 ans (104 milliards d’euros), le European Network of Transmission System Operators for Electricity (ENTSO-E), qui groupe les gestionnaires de réseaux européens, évalue à 80 % la part des travaux d’extension et renforcement des réseaux de transport européens nécessités par le développement de l’électricité d’origine renouvelable.
Le mécanisme de rémunération de capacité de production est-il la solution ? L’idée est de répondre au risque, que l’on commence à voir se pointer à l’horizon, d’un manque de puissance pilotable à une échéance qui se rapproche. Plusieurs pays membres sont en train de développer de tels mécanismes ; mais les objectifs divergent déjà : les français mettent l’accent sur la capacité à la pointe ; les Allemands privilégient la capacité immédiatement disponible pour pallier les conséquences d’un brutal effacement de la demande des intermittentes. Le gouvernement fédéral a ainsi accordé au propriétaire de la toute nouvelle centrale à gaz de Irsching une subvention pour qu’il accepte de poursuivre sa production au-delà du 1er juillet 2013. Cette subvention est estimée à 100 millions € /an. 7 GW de centrales à gaz seraient en instance de mise sous cocon pour la seule Allemagne.
Une autre différence tient à ce que le mécanisme français comprend un marché secondaire et s’adresse à l’ensemble des productions et effacements tandis que le mécanisme allemand ne cherche pas la minimisation des coûts et s’adresse principalement aux capacités menacées de fermeture. Ce n’est pas la même chose et d’aucuns voient là la menace d’une certaine renationalisation des politiques. Après avoir été dans le déni pendant longtemps, la Commission essaie d’y mettre bon ordre mais elle arrive bien tard. Pour sa part, la direction générale chargée de la concurrence se propose de publier avant la fin de l’année des guidelines pour l’encadrement des aides d’état. En tout état de cause, il s’agira là de nouvelles dérogations.
Les énergies renouvelables et les pays limitrophes de l’Allemagne
L’Allemagne disposait à la fin de l’année 2012 de 60 GW de capacité (30 pour l’éolien ; 30 pour le solaire) intermittente. En 2020, la capacité des sources intermittentes installées en Allemagne sera vraisemblablement supérieure à 90 GW ; en 2030, 120 GW. La demande minimale en Allemagne est de l’ordre de 32 GW, la demande médiane de 55 GW et la demande maximale de 82 GW (Source : Rapport de la Monopolkommission ; Energie 2013).
Un tel développement se traduit par des flux considérables et aléatoires d’électricité, donc par un besoin considérable de développement des réseaux. Ce qui a pour les voisins au moins trois conséquences.
Tout d’abord, lorsque l’Allemagne est en surproduction d’énergies renouvelables intermittentes et pour peu que les interconnexions le permettent – comme on l’a vu plus haut, le développement des réseaux, notamment des interconnexions est la priorité de la Commission – le surplus est déversé sur les voisins qui – marché unique oblige – vont devoir absorber cet excédent. C’est déjà le cas. En effet, la production étant principalement au nord et la consommation au sud, les flux de bouclage, renforcés par les congestions internes allemandes, traversent les Pays-Bas, la Tchéquie et la Pologne, compliquant les transactions commerciales et la gestion du système de ces pays.
Même si la consommation d’électricité augmentait légèrement – les plans du gouvernement allemand cherchent à la stabiliser, voire à la réduire – c’est donc à des déversements considérables d’électricité fatale en provenance d’Allemagne que les pays voisins doivent se préparer. La Tchéquie a décidé d’installer à sa frontière avec l’Allemagne un transformateur déphaseur en 2016 (un tel transformateur lui permettra de repousser l’électricité indésirable qui pourrait lui arriver d’Allemagne). D’autres – Pologne, Pays-Bas déjà cités et plus récemment la Slovaquie – envisagent sérieusement de faire de même afin de protéger la stabilité de leurs réseaux ; et – loi de Kirchhoff oblige – la France ne sera pas épargnée.
Ensuite, le développement des intermittentes se traduit par un besoin d’investissements très important dans les réseaux qui vient s’ajouter à celui en centrales destinées à remplacer un parc vieillissant. Les politiques se comportent un peu comme si « l’intendance suivra ». Or pour l’instant l’intendance ne suit pas. Les causes de cet état de fait sont connues. Ce à quoi s’ajoute la question de l’extrême longueur des délais de réalisation qui est indépendante de celle des coûts et qui, en France, en Allemagne et ailleurs, constitue un défi nouveau. Contrairement à la situation qui prévalait il y encore quelques années, les délais de réalisation des grands ouvrages de transport (THT) dépassent désormais ceux des investissements de production. D’où un problème de « discordance des temps » qui peut conduire à des « coûts échoués » (c’est-à-dire des investissements partiellement improductifs).
Enfin – couplage des marchés oblige – le prix sur le marché de gros français est fortement corrélé avec celui de l’Allemagne ; il a été négatif à plusieurs reprises. Il est même descendu à moins 200 €/MWh le 16 juin 2013. Cela s’explique par le fait que les centrales pilotables préfèrent continuer à produire, même si la production intermittente est abondante de façon à être prêtes à redémarrer rapidement en cas d’effacement brutal des renouvelables intermittentes.
Des prix négatifs ? L’insertion des intermittentes, qui ont priorité d’accès sur les réseaux (une offre à prix zéro) se traduit par un déplacement vers la droite de la courbe de mérite, faisant ainsi pression à la baisse du prix d’équilibre. Ce qui met en péril la rentabilité des centrales thermiques à flamme et des centrales nucléaires. Mais ces centrales continuent à produire même quand les prix sont inférieurs à leur coût marginal de façon à être à même de pouvoir augmenter rapidement leur production en cas de chute brutale de la production intermittente. D’où, à certaines heures, des prix négatifs.
La fréquence de telles occurrences ne pourra qu’augmenter à mesure de la poursuite du déploiement des énergies renouvelables intermittentes. Cela remet gravement en cause le modèle économique des centrales pilotables et le principe même sur lequel est fondée la théorie du marché, à savoir que les prix observés sur le dit marché sont des signaux censés informer les investisseurs sur la marge du système et, par conséquent sur un éventuel besoin à investir. Aujourd’hui le prix de gros informe d’abord sur le temps qu’il fait. Le développement des sources intermittentes en France et dans les autres pays interconnectés ne peut bien sûr qu’ajouter à la problématique.
Une contradiction croissante entre court et long terme
La coordination sur le court terme se fait sous l’égide de l’ENTSO-E, dans la perspective de ce marché unifié pour 2015. Des groupes d’experts travaillent sur six nouveaux « codes de réseau » – des procédures concertées de gestion des réseaux qui, pour faire simple, vont permettre à un producteur portugais de vendre sa production à un acheteur danois avec les mêmes procédures que s’il vendait à son voisin. Cette meilleure fluidisation des marchés se traduira, disent les économistes de la Commission, par un gain de 5 milliards d’euros par an.
Dans le même temps, l’investissement qui prépare le long terme ne suit pas ; la coordination indispensable à la sécurité des approvisionnements ne marche pas. Comme on vient de le montrer, le marché a cessé d’envoyer les signaux appropriés.
Toutes les parties concernées en appellent à un nouveau « market design ». Mais le temps presse et pour l’instant on ne voit que de nouvelles dérogations qui s’ajoutent aux dérogations déjà accordées. À Bruxelles, trois directions générales se partagent la compétence (Concurrence, Energie et Environnement). La Commission, élections européennes obligent, va entrer en hibernation pour quelque temps. Tout cela n’est pas fait pour une prise de décision rapide. Les optimistes espèrent que le Conseil de mars 2014 permettra de trouver une solution.
Le mix électrique européen optimum est très différent de la somme des mix électriques optima des pays interconnectés, et l’écart ne fait que croître avec l’accroissement notamment en Allemagne des surcapacités dues à l’éolien et au solaire lorsque ces deux sources produisent en même temps avec une forte puissance.
Ce contenu est issu de ParisTech Review où il a été publié à l’origine sous le titre " Les logiques contradictoires de l’Europe de l’électricité
".
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