Aujourd’hui, dans l’économie de la connaissance, tous les acteurs reconnaissent que la valeur et la durabilité de la compétitivité des firmes sont façonnées par l’importance et la qualité de leur capital immatériel. Ernst et Young1 affirme en effet que 63% de la valeur des firmes sont constitués de capital immatériel. Il relève également qu’à fin 2007, la valeur de l’immatériel représentait 3 500 milliards d’euros.
Cette ressource stratégique est cependant insuffisamment appréhendée par les systèmes comptables classiques2. En effet, environ 2/3 des actifs invisibles des firmes ne figurent pas dans leurs états financiers3. Durant la dernière décennie, l’écart existant entre la capitalisation boursière des firmes cotées et la valeur comptable de leurs fonds propres a oscillé entre 400 et 500%4. Cet écart ne peut s’expliquer que par la valeur des actifs invisibles des firmes que le normalisateur comptable n’a pas pris en charge. Le débat dans le monde académique est également très actif au sens où à ce jour aucune perspective théorique n’a pu émerger comme théorie globale qui fasse l’unanimité dans la communauté scientifique. Toutes les perspectives théoriques restent fragmentaires. Les chercheurs tentent en effet d’identifier les composants et de conceptualiser ce phénomène qui prend de plus en plus d’ampleur dans l’économie de la connaissance. Son identification, sa valorisation et sa perception par les systèmes comptables classiques comme un actif à part entière sont des chantiers ouverts tant dans la normalisation comptable que dans la recherche académique5.
Ces actifs invisibles sont dominants dans les firmes, dont l’offre porte sur des produits à fort contenu technologique et dans les firmes fondées sur la techno-science, telles que les biotechnologies dédiées aux sciences du vivant où leur richesse est quasiment fondée sur des actifs immatériels ou cachés.
Une ressource stratégique, dont les composants sont difficilement identifiables
Les travaux des auteurs qui ont tenté de proposer une classification des actifs immatériels n’ont pas abouti à un concept qui fasse l’unanimité et restent dans de nombreux cas contradictoires. L’OCDE a apporté sa contribution dans ce débat en identifiant cinq composants dans le capital immatériel : les investissements en technologie, les investissements qualifiants, les études et organisation de marché, les logiciels et les systèmes d’information6. D’autres travaux, en particulier ceux d’Edvinsson et Malone7 ont identifié trois composants dans le capital immatériel : le capital humain, le capital structurel et le capital client (ou relationnel).
En reposant sur cette dernière classification, on pourrait affirmer que le capital humain des firmes de biotechnologie dédiées aux sciences du vivant est un actif stratégique central et un déterminant majeur dans la capacité d’innovation de la firme. Il repose sur les petites équipes de recherche dotées d’une expertise de haut niveau en chimie combinatoire, en biologie moléculaire, en physiologie, en pharmacologie, en bio-informatique, en robotique, en optique, … .
En France, en 2008, le secteur de la biopharmacie employait plus de 22000 chercheurs8. On retrouve également la réputation du CEO (chief executive officer) et des membres du comité scientifique. Le capital innovation (ou structurel) réside dans le potentiel de croissance que recèle le projet technologique, l’efficacité du processus d’innovation et dans le modèle de R&D. Le capital relationnel ou la qualité et la durabilité de la « coopération créatrice »9 est l’une des caractéristiques fondamentales de ces firmes. La coopération créatrice repose sur les partenariats et les accords tissés par ces firmes avec les universités, les centres de recherche, les grands laboratoires pharmaceutiques et la grande industrie. Entre 2005 et 2009, leur nombre au niveau mondial a presque doublé avec un taux de progression de 157% et un investissement annuel de 41 milliards USD10. Cette coopération est présente tout au long du cycle de vie d’un médicament : en phase de recherche-découverte, en phase d’amorçage de l’innovation et dans les phases de developpement clinique et dans les phases de commercialisation.
Une ressource stratégique à valoriser en vue d’améliorer l’attraction organisationnelle des firmes
La valorisation de ces « capacités cachées »11 des firmes de biotechnologie dédiées aux sciences du vivant conforte leur attraction organisationnelle. Elle améliore en effet la valeur de cession du capital social (des firmes non cotées), la capitalisation boursière (des firmes cotées) et l’attraction de la firme aux talents et aux scientifiques de renom et à l’investissement financier, qui a tendance aujourd’hui à se raréfier dans ce secteur pour des raisons multiples (incertitudes radicales des projets technologies, retour sur investissement sur le long terme, forte mortalité des projets technologiques, sortie des investisseurs problématique, …)12.
La démarche de valorisation de cette ressource repose dans les petites firmes de biotechnologie dédiées aux sciences du vivant sur trois mesures fondamentales13 ; 14 : l’identification et le récolement des ressources stratégiques invisibles de nature humaine, technologique et relationnelle ; l’évaluation financière de ces ressources. De nombreuses approches de valorisation sont adoptées tant par la pratique (les cabinets de conseil et d’audit) que par les chercheurs. Ces approches suggèrent non seulement des méthodes fondées sur le coût (le coût historique engagé dans la construction et le coût de renouvellement de la ressource), mais aussi des méthodes fondées sur les avantages économiques futurs attachés à ces ressources. Nous pensons que les méthodes fondées sur les avantages sont plus réalistes au sens où elles tentent de cerner et de valoriser le potentiel de création valeur que recèle chacune des ressources invisibles identifiées dans le capital immatériel dont est dotée la firme ; La formalisation d’une stratégie de communication sur ces ressources. La nécessité d’aller au-delà de la communication obligatoire reposant souvent sur des indicateurs quantitatifs issus des états financiers classiques est impérieuse dans les firmes fondées sur la techno-science. Elle consiste à adopter une démarche de divulgation d’informations bâties sur des indicateurs et des événements qualitatifs de nature stratégique. Ce dépassement de la communication obligatoire permet de mettre en valeur et de rendre visible, voire lisibles par les marchés, les atouts et des actifs cachés de la firme, tels que la qualité et les prouesses des chercheurs mobilisés autour du projet technologique, le potentiel de création de valeur du projet technologique, la qualité des molécules dans le pipeline, la réputation du CEO et des membres du comité scientifique, la qualité et la durabilité des accords et des alliances stratégiques, les découvertes, les succès et avancées positives dans le processus d’innovation (ou cycle de vie d’un médicament), … .
Bibliographie
1 Ernst & Young, (2008), ‘’Capital immatériel, son importance se confirme : analyse du poids du capital immatériel dans la valeur d’une centaine d’entreprises cotées européennes’’, Transaction Advisory Services, Janvier, 2e édition
2 OCDE, 2006, ‘’Actifs intellectuels et création de valeur : conséquences pour la communication d’informations par les entreprisse’’, rapport préparé par A. Bismuth et G/ Kirkpatrick, DAF décembre
3 Ernst & Young, (2008), op. Cit. ;
4 Ballow, J., Burgman, R., Roos, G., and Molnar. M. (2004), « A New Paradigm for Managing Shareholder Value », Accenture Institute for High Performance Business.
5 Sadi N-E & Amir-Aslani A., Les retombées stratégiques de la divulgation volontaire d’informations sur le capital immatériel : l’exemple des firmes de biotechnologie dédiées aux sciences de la vie, Revue Internationale de Gestion, HEC Montréal, vol. 39, n°2, 2014, p. 67-79
6 OCDE, 2008, op. Cit. ;
7 Edvinsson L. et Malone M. S. (1997), « Intellectual capital: realizing your company's true value by finding its hidden roots », HarperCollins, New York, NY.
8 LEEM, 2009, ‘’L’industrie du médicament en France, réalités économiques’’, édition 2009
9 Saives, A-L, Desmarteau, R.H. et coll., (2008). ‘’Décoder l’hybride de la « coopération créatrice » : le cas des PME de Biotechnologies au Québec (Canada)’’, Actes du 9 e congrès CIFEPME (Congrès International sur l’entrepreneuriat et la PME), Louvain la Neuve, 29-31 Octobre
10 France Biotech, 2011, ‘’Panorama des Sciences de la vie’’, communiqué de presse
11 Edvinsson L. et Malone M. S., op. Cit. ;
12 Sadi N. - E., Le financement des firmes de biotechnologie santé : Un enjeu économique et financier central, Le Grand Livre de l’Economie PME, 3e édition 2015
13 Sadi Nacer Eddine, les biotechnologies santé, un business model à réinventer, Expansion Management Review, 12/2014
14 Sadi N.-E., Biotechnologie de la santé, un business model en pleine mutation, Harvard Business Review, 8/04/2014
Nacer Eddine SADI
nacer-eddine.sadi@grenoble-em.com
Cette ressource stratégique est cependant insuffisamment appréhendée par les systèmes comptables classiques2. En effet, environ 2/3 des actifs invisibles des firmes ne figurent pas dans leurs états financiers3. Durant la dernière décennie, l’écart existant entre la capitalisation boursière des firmes cotées et la valeur comptable de leurs fonds propres a oscillé entre 400 et 500%4. Cet écart ne peut s’expliquer que par la valeur des actifs invisibles des firmes que le normalisateur comptable n’a pas pris en charge. Le débat dans le monde académique est également très actif au sens où à ce jour aucune perspective théorique n’a pu émerger comme théorie globale qui fasse l’unanimité dans la communauté scientifique. Toutes les perspectives théoriques restent fragmentaires. Les chercheurs tentent en effet d’identifier les composants et de conceptualiser ce phénomène qui prend de plus en plus d’ampleur dans l’économie de la connaissance. Son identification, sa valorisation et sa perception par les systèmes comptables classiques comme un actif à part entière sont des chantiers ouverts tant dans la normalisation comptable que dans la recherche académique5.
Ces actifs invisibles sont dominants dans les firmes, dont l’offre porte sur des produits à fort contenu technologique et dans les firmes fondées sur la techno-science, telles que les biotechnologies dédiées aux sciences du vivant où leur richesse est quasiment fondée sur des actifs immatériels ou cachés.
Une ressource stratégique, dont les composants sont difficilement identifiables
Les travaux des auteurs qui ont tenté de proposer une classification des actifs immatériels n’ont pas abouti à un concept qui fasse l’unanimité et restent dans de nombreux cas contradictoires. L’OCDE a apporté sa contribution dans ce débat en identifiant cinq composants dans le capital immatériel : les investissements en technologie, les investissements qualifiants, les études et organisation de marché, les logiciels et les systèmes d’information6. D’autres travaux, en particulier ceux d’Edvinsson et Malone7 ont identifié trois composants dans le capital immatériel : le capital humain, le capital structurel et le capital client (ou relationnel).
En reposant sur cette dernière classification, on pourrait affirmer que le capital humain des firmes de biotechnologie dédiées aux sciences du vivant est un actif stratégique central et un déterminant majeur dans la capacité d’innovation de la firme. Il repose sur les petites équipes de recherche dotées d’une expertise de haut niveau en chimie combinatoire, en biologie moléculaire, en physiologie, en pharmacologie, en bio-informatique, en robotique, en optique, … .
En France, en 2008, le secteur de la biopharmacie employait plus de 22000 chercheurs8. On retrouve également la réputation du CEO (chief executive officer) et des membres du comité scientifique. Le capital innovation (ou structurel) réside dans le potentiel de croissance que recèle le projet technologique, l’efficacité du processus d’innovation et dans le modèle de R&D. Le capital relationnel ou la qualité et la durabilité de la « coopération créatrice »9 est l’une des caractéristiques fondamentales de ces firmes. La coopération créatrice repose sur les partenariats et les accords tissés par ces firmes avec les universités, les centres de recherche, les grands laboratoires pharmaceutiques et la grande industrie. Entre 2005 et 2009, leur nombre au niveau mondial a presque doublé avec un taux de progression de 157% et un investissement annuel de 41 milliards USD10. Cette coopération est présente tout au long du cycle de vie d’un médicament : en phase de recherche-découverte, en phase d’amorçage de l’innovation et dans les phases de developpement clinique et dans les phases de commercialisation.
Une ressource stratégique à valoriser en vue d’améliorer l’attraction organisationnelle des firmes
La valorisation de ces « capacités cachées »11 des firmes de biotechnologie dédiées aux sciences du vivant conforte leur attraction organisationnelle. Elle améliore en effet la valeur de cession du capital social (des firmes non cotées), la capitalisation boursière (des firmes cotées) et l’attraction de la firme aux talents et aux scientifiques de renom et à l’investissement financier, qui a tendance aujourd’hui à se raréfier dans ce secteur pour des raisons multiples (incertitudes radicales des projets technologies, retour sur investissement sur le long terme, forte mortalité des projets technologiques, sortie des investisseurs problématique, …)12.
La démarche de valorisation de cette ressource repose dans les petites firmes de biotechnologie dédiées aux sciences du vivant sur trois mesures fondamentales13 ; 14 : l’identification et le récolement des ressources stratégiques invisibles de nature humaine, technologique et relationnelle ; l’évaluation financière de ces ressources. De nombreuses approches de valorisation sont adoptées tant par la pratique (les cabinets de conseil et d’audit) que par les chercheurs. Ces approches suggèrent non seulement des méthodes fondées sur le coût (le coût historique engagé dans la construction et le coût de renouvellement de la ressource), mais aussi des méthodes fondées sur les avantages économiques futurs attachés à ces ressources. Nous pensons que les méthodes fondées sur les avantages sont plus réalistes au sens où elles tentent de cerner et de valoriser le potentiel de création valeur que recèle chacune des ressources invisibles identifiées dans le capital immatériel dont est dotée la firme ; La formalisation d’une stratégie de communication sur ces ressources. La nécessité d’aller au-delà de la communication obligatoire reposant souvent sur des indicateurs quantitatifs issus des états financiers classiques est impérieuse dans les firmes fondées sur la techno-science. Elle consiste à adopter une démarche de divulgation d’informations bâties sur des indicateurs et des événements qualitatifs de nature stratégique. Ce dépassement de la communication obligatoire permet de mettre en valeur et de rendre visible, voire lisibles par les marchés, les atouts et des actifs cachés de la firme, tels que la qualité et les prouesses des chercheurs mobilisés autour du projet technologique, le potentiel de création de valeur du projet technologique, la qualité des molécules dans le pipeline, la réputation du CEO et des membres du comité scientifique, la qualité et la durabilité des accords et des alliances stratégiques, les découvertes, les succès et avancées positives dans le processus d’innovation (ou cycle de vie d’un médicament), … .
Bibliographie
1 Ernst & Young, (2008), ‘’Capital immatériel, son importance se confirme : analyse du poids du capital immatériel dans la valeur d’une centaine d’entreprises cotées européennes’’, Transaction Advisory Services, Janvier, 2e édition
2 OCDE, 2006, ‘’Actifs intellectuels et création de valeur : conséquences pour la communication d’informations par les entreprisse’’, rapport préparé par A. Bismuth et G/ Kirkpatrick, DAF décembre
3 Ernst & Young, (2008), op. Cit. ;
4 Ballow, J., Burgman, R., Roos, G., and Molnar. M. (2004), « A New Paradigm for Managing Shareholder Value », Accenture Institute for High Performance Business.
5 Sadi N-E & Amir-Aslani A., Les retombées stratégiques de la divulgation volontaire d’informations sur le capital immatériel : l’exemple des firmes de biotechnologie dédiées aux sciences de la vie, Revue Internationale de Gestion, HEC Montréal, vol. 39, n°2, 2014, p. 67-79
6 OCDE, 2008, op. Cit. ;
7 Edvinsson L. et Malone M. S. (1997), « Intellectual capital: realizing your company's true value by finding its hidden roots », HarperCollins, New York, NY.
8 LEEM, 2009, ‘’L’industrie du médicament en France, réalités économiques’’, édition 2009
9 Saives, A-L, Desmarteau, R.H. et coll., (2008). ‘’Décoder l’hybride de la « coopération créatrice » : le cas des PME de Biotechnologies au Québec (Canada)’’, Actes du 9 e congrès CIFEPME (Congrès International sur l’entrepreneuriat et la PME), Louvain la Neuve, 29-31 Octobre
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12 Sadi N. - E., Le financement des firmes de biotechnologie santé : Un enjeu économique et financier central, Le Grand Livre de l’Economie PME, 3e édition 2015
13 Sadi Nacer Eddine, les biotechnologies santé, un business model à réinventer, Expansion Management Review, 12/2014
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