Les sept milliards d’humains possèdent 6 milliards de téléphones cellulaires mais seulement deux milliards de comptes bancaires. Par exemple, au Bangladesh, 57 % des 150 millions d’habitants possèdent un téléphone cellulaire, mais seulement 13 % détiennent un compte en banque (source : CIA World Factbook). La banque mobile peut offrir des services d’épargne à ces milliards de consommateurs non bancarisés. Les échanges sont instantanés et sûrs. Les coûts des transactions sont faibles. Le téléphone mobile peut servir de carte bancaire virtuelle, stocker les informations confidentielles du client et de l’établissement en toute sécurité, sans oublier que la carte SIM elle-même est déjà une carte à puce qui possède certaines des caractéristiques d’une carte bancaire. Comme le code PIN du client, son numéro de compte peut être stocké sur cette carte SIM. Quand il est plus sophistiqué et connecté à Internet, le téléphone portable peut être utilisé comme un terminal bancaire en ligne et fournir à son propriétaire l’accès instantané au compte et la possibilité d’effectuer des paiements et des transferts à distance.
La banque mobile
À l’échelle de l’Afrique, il n’y avait aucun abonné mobile en 2000, ils étaient 506 millions en septembre 2010 et on devrait en compter 800 millions en 2014, selon le cabinet Informa Telecoms & Media. Cette tendance lourde se combine avec une autre : en raison d’une grande dispersion des populations, de leur isolement géographique, d’infrastructures de transport déficientes et d’une faible alphabétisation financière, l’Afrique subsaharienne enregistre le plus faible taux de pénétration des institutions de dépôt au monde : 16,6 % contre 63,5 % dans les pays avancés, selon la Banque Africaine de Développement. Seulement 20 % des familles ont un compte en banque et dans certains pays, le dépôt minimal peut atteindre la moitié du revenu national par tête. Le téléphone portable peut faire voler en éclats la plupart de ces obstacles.
Avec un taux de pénétration du téléphone mobile très élevé, l’Afrique du Sud est de loin le pays où les services bancaires mobiles sont le plus utilisés, mais c’est dans un autre pays, le Kenya, que l’on assiste à la progression la plus saisissante. Dans ce pays d’un peu plus de quarante millions d’habitants, dynamique mais encore très pauvre (il figure dans le dernier quart dans tous les classements mondiaux des revenus par tête), 80 % de la population possède un téléphone portable et 16 millions de Kenyans sont connectés à l’Internet mobile grâce à une gamme étendue de cartes prépayés très abordables comportant à la fois des services vocaux et des services de données. Le résultat : 21 millions d’abonnés à des services bancaires mobiles (soit deux abonnés mobile sur trois) et parmi eux, cinq millions de Kenyans non bancarisés. À titre d’exemple, au cours des mois de janvier et février 2013, cent millions de transactions bancaires mobiles ont été enregistrées au Kenya, pour un montant total de 3,3 milliards de dollars, ce qui, extrapolé sur une année, correspond au tiers du PIB. (source : Commission des communications au Kenya)
Cette éclosion de la banque mobile mérite d’être comparée au système bancaire traditionnel du pays. Le Kenya compte 43 banques qui totalisent environ 2000 agences alors qu’on compte au moins 83 000 boutiques de banque mobile proposant peu ou prou les mêmes services. Selon la banque centrale, on compte au moins trente de ces boutiques pour chaque distributeur automatique de billets. Les dépôts bancaires du pays – 20 milliards de dollars d’après la Banque centrale kenyane – seront rapidement dépassés par le montant des transactions mobiles. Nul doute que les transactions mobiles, par la combinaison de leur vitesse, de leur facilité (les boutiques restent ouvertes 16 heures par jour, sept jours sur sept) et de leur modicité, sont en train de transformer l’économie. Non seulement, une activité autrefois largement souterraine émerge en pleine lumière, rejoint l’économie formelle et peut être comptabilisée, mais il est désormais démontré que les consommateurs du « bas de la pyramide », loin d’être assistés et improductifs, sont capables d’arbitrer en faveur des technologies et de doper ainsi la croissance. Une étude réalisée conjointement par la Banque Mondiale, la London Business School et le cabinet Deloitte affirme qu’à chaque fois que l’on rajoute 10 téléphones mobile dans une population de cent Africains, le PIB du pays progresse dans une proportion comprise entre 0,6 et 1,2 %.
La SMS économie et le modèle kenyan
En Afrique, le SMS, instrument bon marché par excellence, est devenu un formidable accélérateur social, économique et financier. La « SMS économie » est florissante et les projets se sont multipliés : Mxit, un réseau social sud africain fonctionnant par texto ; TxtEagle (récemment rebaptisé Jana, un réseau de sous-traitance et de crowdsourcing global pour les pays émergents ; mPedigree, un service ghanéen qui vérifie la dangerosité d’un médicament à partir de son code barre envoyé par SMS à un serveur central.
Le phénomène a atteint un premier paroxysme en 2007, en pleine crise financière mondiale, quand un opérateur mobile kenyan, Safaricom, a lancé M-Pesa, un service de transfert d’argent par SMS. L’envoyeur se rend chez un agent Safaricom, qui crédite son compte mobile en échange de liquide et adresse au receveur un SMS qui permet à celui-ci de retirer l’argent auprès de l’agent de son quartier. Le succès est foudroyant. Il est vrai que Safaricom avait joui, au cours de ses sept premières années d’existence, d’un monopole appuyé par l’État, qui lui a permis d’accumuler des profits considérables sans craindre la moindre concurrence.
En 2013, un Kenyan sur trois possède un compte M-Pesa. La preuve est définitivement faite que le gap de bancarisation reflétait, non pas une faiblesse de la demande mais bien une déficience de l’offre. Conformément à l’intuition de C. K. Prahalad dans son célèbre The Fortune at the Bottom of the Pyramid. Cet économiste indien fut le premier à expliquer que les plus pauvres ont des ressources financières et que leur nombre en fait, collectivement, non pas seulement un marché potentiellement énorme, mais aussi un acteur financier aussi puissant que délaissé.
Au Kenya, la base de la pyramide s’organise. En témoigne l’alliance récente entre Safaricom et Equity Bank, une jeune (1984) banque commerciale spécialisée dans le microcrédit, qui a déjà réussi à fidéliser 5,7 millions de clients en Afrique Orientale. Equity Bank a fondé son succès sur une idée toute simple mais révolutionnaire : attirer les clients en leur proposant l’ouverture d’un compte, même sans aucun dépôt initial. Ce marketing audacieux lui a permis de dépasser en 2013 bon nombre de grandes banques installées sur la place de Nairobi depuis 1963. L’alliance entre Safaricom et Equity Bank a déclenché une inversion de paradigme. Alors que dans les pays avancés, c’est le compte en banque qui sert de garantie pour obtenir un téléphone mobile, au Kenya, c’est la détention du téléphone et un abonnement au service M-Pesa qui permettent d’ouvrir un compte en banque à Equity Bank et d’accéder à tous les services d’une banque physique, en particulier les cartes de débit et l’accès aux distributeurs. C’est plutôt une bonne nouvelle pour les banques. La concurrence de la téléphonie mobile peut, à condition de nouer les partenariats idoines, se transformer en opportunité pour elles en leur apportant de nouveaux clients.
Et ailleurs ?
Le succès de Safaricom et de M-Pesa, largement dû au puissant soutien public dont l’opérateur a bénéficié au Kenya, sera sans doute difficile à imiter ailleurs. En Afrique du Sud, en Tanzanie ou en Ouganda, par exemple, l’aventure n’aurait pas été possible car la loi réserve les activités bancaires en priorité aux… banques. La question se pose tout de même : les technologies de téléphonie mobile sont elles capables de provoquer le vaste rattrapage bancaire dont les pays émergents ont impérativement besoin pour consolider leur croissance et leur modernisation ? À première vue, le marché est gigantesque. Dans la réalité, seule une poignée de pays émergents a vu le paiement mobile décoller. Le World Economic Forum n’a relevé que quatre pays où le paiement mobile concerne plus de 10 % de la population : le Kenya, le Ghana, la Tanzanie et les Philippines.
Prenons l’exemple de l’Inde, qui permet de mieux comprendre la difficulté du modèle kenyan à s’exporter. Compte tenu de sa taille, de sa population, de sa pauvreté résiduelle, de sa complexité administrative et de la mauvaise qualité de ses infrastructures, l’Inde aurait tout à gagner à se lancer dans la banque mobile. Sur 1,2 milliard d’habitants, on compte 900 millions de mobiles et seulement 250 millions de comptes bancaires. Elle est pourtant loin d’appartenir à ce groupe leader, alors même que sur d’autres domaines de l’innovation financière, comme le micro-crédit, elle a fait partie des précurseurs.
Or le développement du paiement mobile patine. C’est d’abord une question d’acteurs : au Kenya, Safaricom a bénéficié d’une position de monopole qui lui a permis d’avancer très vite et d’investir tout en limitant sa prise de risques, avec l’espoir d’une forte rétribution. C’était en outre, sur le marché des services bancaires, un outsider qui n’avait pas un marché à protéger mais un marché à créer. La situation est différente en Inde. L’institution bancaire est politiquement puissante et le paiement mobile n’a d’abord été autorisé que pour les micropaiements – jusqu’à 5000 roupies. Ensuite, sur ce marché pas moins de dix opérateurs mobiles sont en concurrence, et cette compétition qui pouvait théoriquement constituer un facteur de dynamisme s’avère en réalité un frein, comme nous allons le voir.
Les opérateurs mobiles qui se disputent le futur marché du « mobile banking » et le privilège de créer des standards nationaux ne sont pas seuls. Ce sont les banques indiennes elles-mêmes qui prennent progressivement l’initiative. Pour développer les paiements dits sur comptoir, elles ont développé une plateforme interbanque appelée IMPS (Interbank Mobile Payment Service), qui est notamment utilisée par le portail de l’Indian Railways. La stratégie suivie consiste à transformer des petits commerces en succursales virtuelles des grands réseaux bancaires. Dans les nombreuses localités de l’Union où il ne serait pas rentable d’ouvrir une vraie succursale, les épiceries de village, celles qui vendent déjà des cartes téléphoniques prépayées, pourraient ainsi devenir les nouvelles agences bancaires.
Les banques s’efforcent donc de nouer des partenariats avec des opérateurs mobiles pour que ces mêmes épiceries vendent aussi des services financiers mobiles. En théorie, l’alliance est mutuellement bénéfique : les banques entrent en contact avec un marché vierge, à bas coût. Les opérateurs, quant à eux, peuvent fidéliser leurs clients et réduire le taux de résiliation, très élevé dans l’univers des cartes prépayées. Mais la réalité est moins rose.
Les épiceries trouvent que les commissions sur les services financiers sont bien moins intéressantes que sur la vente de minutes de téléphone. Elles redoutent également qu’après avoir acquis un portefeuille électronique, les abonnés ne reviennent jamais dans l’épicerie. Enfin, il n’existe aucune interopérabilité entre banques et entre opérateurs mobiles.
Pour tenter de sauver ce levier de croissance, l’Inde a assoupli sa réglementation pour autoriser les banques à nommer des agents locaux – les « business correspondants » – qui peuvent être des individus, des ONG ou des startups. L’un de ces agents est EKO Financial Services, qui utilise les téléphones mobiles pour transférer l’argent des travailleurs migrants à leurs familles. Mais le système se grippe vite car les agents, trop nombreux, ont du mal à garantir à leur réseau de pointes de vente le minimum de transactions permettant d’être rentables. La fondation Gates estime qu’à moins de 30 à 50 transactions financières mobiles par jour, un point de vente tel qu’une épicerie n’est pas économiquement viable. On est loin du quasi-monopole qui a permis à M–Pesa de révolutionner le Kenya.
On le voit, l’avenir de la banque mobile dans les pays émergents n’est pas écrit. Les obstacles réglementaires, techniques et économiques restent nombreux. Les professions d’intermédiaire traditionnelles, celles que menace la téléphonie mobile, se défendront bec et ongles. Enfin, la compétition entre opérateurs mobiles et banques ne fait que commencer.
Une chose, en revanche, est acquise : les besoins en transactions financières mobiles ne font que croître. Dans la European Financial Review, Sunil Gupta, professeur à la Harvard Business School, en dresse une liste non exhaustive. À ses yeux, par exemple, les transferts des migrants représentent à l’échelle mondiale un marché de 300 milliards de dollars que la banque mobile ne couvre que très partiellement. Quant aux allocations gouvernementales aux plus démunis, elles représentent un marché mondial qui, selon Gupta, dépassera mille milliards de dollars en 2015. L’usage qui consiste à distribuer ces subsides en liquide coûte à l’Inde entre 5 et 7% de son PIB. Le mobile pourrait résoudre ces coûts d’un tiers, tout en simplifiant et en sécurisant la chaîne de paiement.
La banque mobile
À l’échelle de l’Afrique, il n’y avait aucun abonné mobile en 2000, ils étaient 506 millions en septembre 2010 et on devrait en compter 800 millions en 2014, selon le cabinet Informa Telecoms & Media. Cette tendance lourde se combine avec une autre : en raison d’une grande dispersion des populations, de leur isolement géographique, d’infrastructures de transport déficientes et d’une faible alphabétisation financière, l’Afrique subsaharienne enregistre le plus faible taux de pénétration des institutions de dépôt au monde : 16,6 % contre 63,5 % dans les pays avancés, selon la Banque Africaine de Développement. Seulement 20 % des familles ont un compte en banque et dans certains pays, le dépôt minimal peut atteindre la moitié du revenu national par tête. Le téléphone portable peut faire voler en éclats la plupart de ces obstacles.
Avec un taux de pénétration du téléphone mobile très élevé, l’Afrique du Sud est de loin le pays où les services bancaires mobiles sont le plus utilisés, mais c’est dans un autre pays, le Kenya, que l’on assiste à la progression la plus saisissante. Dans ce pays d’un peu plus de quarante millions d’habitants, dynamique mais encore très pauvre (il figure dans le dernier quart dans tous les classements mondiaux des revenus par tête), 80 % de la population possède un téléphone portable et 16 millions de Kenyans sont connectés à l’Internet mobile grâce à une gamme étendue de cartes prépayés très abordables comportant à la fois des services vocaux et des services de données. Le résultat : 21 millions d’abonnés à des services bancaires mobiles (soit deux abonnés mobile sur trois) et parmi eux, cinq millions de Kenyans non bancarisés. À titre d’exemple, au cours des mois de janvier et février 2013, cent millions de transactions bancaires mobiles ont été enregistrées au Kenya, pour un montant total de 3,3 milliards de dollars, ce qui, extrapolé sur une année, correspond au tiers du PIB. (source : Commission des communications au Kenya)
Cette éclosion de la banque mobile mérite d’être comparée au système bancaire traditionnel du pays. Le Kenya compte 43 banques qui totalisent environ 2000 agences alors qu’on compte au moins 83 000 boutiques de banque mobile proposant peu ou prou les mêmes services. Selon la banque centrale, on compte au moins trente de ces boutiques pour chaque distributeur automatique de billets. Les dépôts bancaires du pays – 20 milliards de dollars d’après la Banque centrale kenyane – seront rapidement dépassés par le montant des transactions mobiles. Nul doute que les transactions mobiles, par la combinaison de leur vitesse, de leur facilité (les boutiques restent ouvertes 16 heures par jour, sept jours sur sept) et de leur modicité, sont en train de transformer l’économie. Non seulement, une activité autrefois largement souterraine émerge en pleine lumière, rejoint l’économie formelle et peut être comptabilisée, mais il est désormais démontré que les consommateurs du « bas de la pyramide », loin d’être assistés et improductifs, sont capables d’arbitrer en faveur des technologies et de doper ainsi la croissance. Une étude réalisée conjointement par la Banque Mondiale, la London Business School et le cabinet Deloitte affirme qu’à chaque fois que l’on rajoute 10 téléphones mobile dans une population de cent Africains, le PIB du pays progresse dans une proportion comprise entre 0,6 et 1,2 %.
La SMS économie et le modèle kenyan
En Afrique, le SMS, instrument bon marché par excellence, est devenu un formidable accélérateur social, économique et financier. La « SMS économie » est florissante et les projets se sont multipliés : Mxit, un réseau social sud africain fonctionnant par texto ; TxtEagle (récemment rebaptisé Jana, un réseau de sous-traitance et de crowdsourcing global pour les pays émergents ; mPedigree, un service ghanéen qui vérifie la dangerosité d’un médicament à partir de son code barre envoyé par SMS à un serveur central.
Le phénomène a atteint un premier paroxysme en 2007, en pleine crise financière mondiale, quand un opérateur mobile kenyan, Safaricom, a lancé M-Pesa, un service de transfert d’argent par SMS. L’envoyeur se rend chez un agent Safaricom, qui crédite son compte mobile en échange de liquide et adresse au receveur un SMS qui permet à celui-ci de retirer l’argent auprès de l’agent de son quartier. Le succès est foudroyant. Il est vrai que Safaricom avait joui, au cours de ses sept premières années d’existence, d’un monopole appuyé par l’État, qui lui a permis d’accumuler des profits considérables sans craindre la moindre concurrence.
En 2013, un Kenyan sur trois possède un compte M-Pesa. La preuve est définitivement faite que le gap de bancarisation reflétait, non pas une faiblesse de la demande mais bien une déficience de l’offre. Conformément à l’intuition de C. K. Prahalad dans son célèbre The Fortune at the Bottom of the Pyramid. Cet économiste indien fut le premier à expliquer que les plus pauvres ont des ressources financières et que leur nombre en fait, collectivement, non pas seulement un marché potentiellement énorme, mais aussi un acteur financier aussi puissant que délaissé.
Au Kenya, la base de la pyramide s’organise. En témoigne l’alliance récente entre Safaricom et Equity Bank, une jeune (1984) banque commerciale spécialisée dans le microcrédit, qui a déjà réussi à fidéliser 5,7 millions de clients en Afrique Orientale. Equity Bank a fondé son succès sur une idée toute simple mais révolutionnaire : attirer les clients en leur proposant l’ouverture d’un compte, même sans aucun dépôt initial. Ce marketing audacieux lui a permis de dépasser en 2013 bon nombre de grandes banques installées sur la place de Nairobi depuis 1963. L’alliance entre Safaricom et Equity Bank a déclenché une inversion de paradigme. Alors que dans les pays avancés, c’est le compte en banque qui sert de garantie pour obtenir un téléphone mobile, au Kenya, c’est la détention du téléphone et un abonnement au service M-Pesa qui permettent d’ouvrir un compte en banque à Equity Bank et d’accéder à tous les services d’une banque physique, en particulier les cartes de débit et l’accès aux distributeurs. C’est plutôt une bonne nouvelle pour les banques. La concurrence de la téléphonie mobile peut, à condition de nouer les partenariats idoines, se transformer en opportunité pour elles en leur apportant de nouveaux clients.
Et ailleurs ?
Le succès de Safaricom et de M-Pesa, largement dû au puissant soutien public dont l’opérateur a bénéficié au Kenya, sera sans doute difficile à imiter ailleurs. En Afrique du Sud, en Tanzanie ou en Ouganda, par exemple, l’aventure n’aurait pas été possible car la loi réserve les activités bancaires en priorité aux… banques. La question se pose tout de même : les technologies de téléphonie mobile sont elles capables de provoquer le vaste rattrapage bancaire dont les pays émergents ont impérativement besoin pour consolider leur croissance et leur modernisation ? À première vue, le marché est gigantesque. Dans la réalité, seule une poignée de pays émergents a vu le paiement mobile décoller. Le World Economic Forum n’a relevé que quatre pays où le paiement mobile concerne plus de 10 % de la population : le Kenya, le Ghana, la Tanzanie et les Philippines.
Prenons l’exemple de l’Inde, qui permet de mieux comprendre la difficulté du modèle kenyan à s’exporter. Compte tenu de sa taille, de sa population, de sa pauvreté résiduelle, de sa complexité administrative et de la mauvaise qualité de ses infrastructures, l’Inde aurait tout à gagner à se lancer dans la banque mobile. Sur 1,2 milliard d’habitants, on compte 900 millions de mobiles et seulement 250 millions de comptes bancaires. Elle est pourtant loin d’appartenir à ce groupe leader, alors même que sur d’autres domaines de l’innovation financière, comme le micro-crédit, elle a fait partie des précurseurs.
Or le développement du paiement mobile patine. C’est d’abord une question d’acteurs : au Kenya, Safaricom a bénéficié d’une position de monopole qui lui a permis d’avancer très vite et d’investir tout en limitant sa prise de risques, avec l’espoir d’une forte rétribution. C’était en outre, sur le marché des services bancaires, un outsider qui n’avait pas un marché à protéger mais un marché à créer. La situation est différente en Inde. L’institution bancaire est politiquement puissante et le paiement mobile n’a d’abord été autorisé que pour les micropaiements – jusqu’à 5000 roupies. Ensuite, sur ce marché pas moins de dix opérateurs mobiles sont en concurrence, et cette compétition qui pouvait théoriquement constituer un facteur de dynamisme s’avère en réalité un frein, comme nous allons le voir.
Les opérateurs mobiles qui se disputent le futur marché du « mobile banking » et le privilège de créer des standards nationaux ne sont pas seuls. Ce sont les banques indiennes elles-mêmes qui prennent progressivement l’initiative. Pour développer les paiements dits sur comptoir, elles ont développé une plateforme interbanque appelée IMPS (Interbank Mobile Payment Service), qui est notamment utilisée par le portail de l’Indian Railways. La stratégie suivie consiste à transformer des petits commerces en succursales virtuelles des grands réseaux bancaires. Dans les nombreuses localités de l’Union où il ne serait pas rentable d’ouvrir une vraie succursale, les épiceries de village, celles qui vendent déjà des cartes téléphoniques prépayées, pourraient ainsi devenir les nouvelles agences bancaires.
Les banques s’efforcent donc de nouer des partenariats avec des opérateurs mobiles pour que ces mêmes épiceries vendent aussi des services financiers mobiles. En théorie, l’alliance est mutuellement bénéfique : les banques entrent en contact avec un marché vierge, à bas coût. Les opérateurs, quant à eux, peuvent fidéliser leurs clients et réduire le taux de résiliation, très élevé dans l’univers des cartes prépayées. Mais la réalité est moins rose.
Les épiceries trouvent que les commissions sur les services financiers sont bien moins intéressantes que sur la vente de minutes de téléphone. Elles redoutent également qu’après avoir acquis un portefeuille électronique, les abonnés ne reviennent jamais dans l’épicerie. Enfin, il n’existe aucune interopérabilité entre banques et entre opérateurs mobiles.
Pour tenter de sauver ce levier de croissance, l’Inde a assoupli sa réglementation pour autoriser les banques à nommer des agents locaux – les « business correspondants » – qui peuvent être des individus, des ONG ou des startups. L’un de ces agents est EKO Financial Services, qui utilise les téléphones mobiles pour transférer l’argent des travailleurs migrants à leurs familles. Mais le système se grippe vite car les agents, trop nombreux, ont du mal à garantir à leur réseau de pointes de vente le minimum de transactions permettant d’être rentables. La fondation Gates estime qu’à moins de 30 à 50 transactions financières mobiles par jour, un point de vente tel qu’une épicerie n’est pas économiquement viable. On est loin du quasi-monopole qui a permis à M–Pesa de révolutionner le Kenya.
On le voit, l’avenir de la banque mobile dans les pays émergents n’est pas écrit. Les obstacles réglementaires, techniques et économiques restent nombreux. Les professions d’intermédiaire traditionnelles, celles que menace la téléphonie mobile, se défendront bec et ongles. Enfin, la compétition entre opérateurs mobiles et banques ne fait que commencer.
Une chose, en revanche, est acquise : les besoins en transactions financières mobiles ne font que croître. Dans la European Financial Review, Sunil Gupta, professeur à la Harvard Business School, en dresse une liste non exhaustive. À ses yeux, par exemple, les transferts des migrants représentent à l’échelle mondiale un marché de 300 milliards de dollars que la banque mobile ne couvre que très partiellement. Quant aux allocations gouvernementales aux plus démunis, elles représentent un marché mondial qui, selon Gupta, dépassera mille milliards de dollars en 2015. L’usage qui consiste à distribuer ces subsides en liquide coûte à l’Inde entre 5 et 7% de son PIB. Le mobile pourrait résoudre ces coûts d’un tiers, tout en simplifiant et en sécurisant la chaîne de paiement.
Ce contenu est issu de ParisTech Review où il a été publié à l’origine sous le titre " Les logiques contradictoires de l’Europe de l’électricité
".
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NDLR :
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